Cultiver la joie

Un voile a commencé de se lever sur le mystère de Noël. Nous nous accoutumons au fur et à mesure de l’Avent au clair obscur de la crèche. La promesse de savoir le déchiffrer, comme le feront les mages de l’épiphanie, nous a été faite. Une disposition nous est maintenant indiquée ce dimanche comme tout à fait fondamentale : le joie. Gaudete est le Premier mot latin du chant d’ouverture grégorien du troisième dimanche de l’Avent. Ce dimanche est comme une pause au milieu de l’Avent et comme une anticipation de la joie de Noël. Mais comment y consentir comme une grâce si nous ne la demandons pas ? Comment même l’entrevoir si le malheur et la souffrance nous écrasent ?

Dans son premier texte qu’il déclare programmatique « la Joie de l’Evangile » le Pape François écrivait avec lucidité dans les premières lignes : « Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie.» Cette privation de la joie due à notre asséchement était aussi présente dans les propos de Jean XXIII ouvrant le concile Vatican II sans pourtant pas faire chorus aux prophètes de malheurs : « Il arrive souvent que (…) nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités (…) Il nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires ».

 

A l’écoute de l’Ecriture

Pourtant l’Écriture n’est pas avare de cette joie. « Le prophète Isaïe s’adresse au Messie attendu en le saluant avec joie : « Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie » (9, 2). Et il encourage les habitants de Sion à l’accueillir parmi les chants : « Pousse des cris de joie, des clameurs » (12, 6). Qui l’a déjà vu à l’horizon, le prophète l’invite à se convertir en messager pour les autres : « Monte sur une haute montagne, messagère de Sion ; élève et force la voix, messagère de Jérusalem » (40, 9). Toute la création participe à cette joie du salut : « Cieux criez de joie, terre, exulte, que les montagnes poussent des cris, car le Seigneur a consolé son peuple, il prend en pitié ses affligés » (49, 13). Voyant le jour du Seigneur, Zacharie invite à acclamer le Roi qui arrive, « humble, monté sur un âne » : « Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux » (Za 9, 9). Cependant, l’invitation la plus contagieuse est peut-être celle du prophète Sophonie, qui nous montre Dieu lui-même comme un centre lumineux de fête et de joie qui veut communiquer à son peuple ce cri salvifique: « Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur ! Il exultera pour toi de joie, il tressaillera dans son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie » (3, 17).

 

Avec Jean le Baptiste

Et le Nouveau Testament renchérit sur cette joie : regardons les premiers disciples, qui immédiatement, après avoir reconnu le regard de Jésus, allèrent proclamer plein de joie : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1, 41). Et Jean Baptiste , lui, a détecté la source de sa joie : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient près de lui et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Voilà ma joie ; elle est maintenant parfaite. Il faut que lui grandisse et que moi, je décroisse » (Jn 3, 29-30).

Jean-Baptiste, l’ami de l’époux (Jésus) — à l’époque, l’ami du futur marié était chargé de lui amener rituellement sa fiancée le jour des noces — trouve son bonheur à lui présenter son épouse, à savoir l’Église, représentée dans les deux premiers disciples du Christ (Jn 1, 37). De plus, le fait de laisser toute la place au Messie, de s’effacer devant lui, et de décroître ainsi lui-même, met le comble à la joie de Jean-Baptiste. Quelle leçon pour nous, qui ne voyons de satisfaction que dans la mise en avant de nos ego, qui ne jurons que par la réussite mondaine, clinquante autant que passagère. Mais comment faire alors pour trouver la joie du baptiste et la faire la nôtre ? Suivons l’Evangile :

  • Témoin de la lumière afin que tous croient par lui : il a reçu une mission démesurée et s’y tient dans l’insu de sa réalisation.
  • Il sait qui il n’est pas et le dit aux autorités : il sait la modestie de sa tâche et en rend compte
  • Je suis la voix dans le désert : il connait la condition âpre de sa parole
  • Il désigne celui qu’il sert à genoux pour à peine défaire ses sandales : il est en état de serviteur
  • Il ne renonce pas à sa tâche du baptême de conversion : il sait en tout cela se tenir dans la bonne distance vis-à-vis de Jésus pour exercer sa propre mission, ce que Jésus reconnait en se faisant baptiser par lui.

Jean est l’homme du respect, de la bonne distance vis-à-vis de Jésus et des autres, conscient de sa place, l’occupant entièrement pour s’effacer derrière Jésus et le désigner comme Messie. M. Bellet a décrit ce respect qui fait la joie de celui qui le vit : « Vous ne traiterez personne de lâche, vaurien, voyou, vous ne traiterez personne de bourgeois, de nègre, de raton, de moricaud, de flic, de bolchevik – sachant d’ailleurs que ce qui dans votre bouche est injure peut être pour lui dignité. Vous ne souillerez pas la parole humaine, où je suis, vous ne souillerez pas votre parole par le déni de justice, l’invitation trompeuse, le mépris insultant, l’entortillement de la vérité, le chantage, ou quoi que ce soit qui induise autrui à l’erreur et au malheur. Si vous parlez mal de moi, je ne vous en tiendrai pas rigueur, car vous ne sauriez, de moi, parler bien ; je saurai entendre vos cris, vos imprécations, vos murmures, et même je saurai comprendre que, ne me connaissant pas, ou conduits malheureusement à me voir tout autre que je ne suis, vous en veniez jusqu’à me maudire ou vous désintéresser de moi. Mais je ne vous pardonnerai pas, si vous vous y obstinez, d’écraser ce qui témoigne de moi là où vous êtes, le respect de la vérité, le respect de la vie, et, signe entre les signes, le respect de celui qui vous est semblable et face à face, l’autre homme. »

Dans cette attitude de respect d’où nait la joie profonde s’ouvre à nos yeux le mystère de la crèche : Dieu se fait très humain.

 

Père Jean-Louis Souletie

Doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris

 

 

 

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