Cet Évangile s’est tout de suite imposé à moi, par le constant appel qu’il m’adresse mais aussi par la mauvaise lecture que trop souvent l’on en fait ; le mot prochain signifiant : « celui à qui l’on porte secours, que l’on aide », sens exact par ailleurs ? Qui est notre prochain ? Question capitale à notre époque, que François n’hésite pas à caractériser comme « la « société des déchets », parlant des migrants et de tous les « laissés-pour-compte » d’une humanité plus repliée sur ses intérêts que sur l’ouverture aux autres ; bien qu’il ne faille pas ignorer toutes les organisations au service des autres qui ponctuent notre société et les gestes de tant d’anonymes, chrétiens ou non, cherchant à donner terre, travail, toit aux exclus. Mais dans cette parabole, la question est autre : « qui est le prochain du blessé » ?

 

Extraordinaire renversement : est prochain le Samaritain, celui qui s’est fait proche du blessé, devenu « prochain ». Me rendre proche, donc être le prochain du pauvre, par l’intérêt que je lui porte, ne plus le considérer comme étranger, comme un paria, me rendre proche, c’est faire l’effort de le regarder, échanger un « bonjour », le remettre debout, ne serait-ce que par le respect et la dignité que je mets à lui parler, quand je le fais ! À l’aider, à croiser son regard. Facile ? Non.

Pour ma part, sortant de la gare Part-Dieu à Lyon, je dois slalomer entre les mains tendues, les yeux ternes, les demandes… C’est un afghan, une roumaine, etc. ; victimes souvent de souteneurs, les privant de la recette de la journée. « Qui est le prochain du blessé ? », demande Jésus… Je le suis parfois, avec mes pauvres moyens, mais si je suis honnête, pas autant que je le devrais, et l’excuse de savoir que certains sont exposés à la mendicité pour le bénéfice de souteneurs, par force souvent, ou par choix parfois, n’est pas une excuse, car doublement victimes.

 

Oui, l’Évangile d’aujourd’hui, bien qu’il me soit arrivé de me rendre proche de ces épaves, de ces blessés de la vie, surtout en terrain de guerre, me met mal à l‘aise. Je prêche évangile, mais les actes ? De qui je me fais le prochain ? Chaque mendiant, par le mal être qu’il suscite en moi, m’éloigne du Royaume ; car en ne croisant pas son regard, je ne sais pas voir le visage de Jésus crucifié en sa chair meurtrie et son rejet d’une humanité, d’une maison commune, dont lui aussi fait partie, mais que je laisse à la porte. En être conscient ne me satisfait pas. Alors ?…

 

Michel Dupuy, prêtre de l’Oratoire à la Valfine, Jura