L’écrivain et dramaturge italien Luigi Pirandello disait : « Vous apprendrez à vos frais qu’au cours du long voyage de la vie, vous rencontrerez beaucoup de masques et peu de visages. » Qu’est-ce à dire ? La vie ne serait-elle qu’un interminable bal masqué ? Avons-nous autant de masques dans notre magasin d’accessoires que d’individus rencontrés ? Écoutez mon histoire :

 

Je marchais paisiblement dans Saint-Eustache, me laissant interroger par l’œuvre récente, primée, et captivante de Marc Lohner, quand soudain, le premier des cinq Lés de tissu translucide, descendant des ogives, se souleva et battit au vent, laissant passer un groupe dansant et chantant venant du fond des temps. La mémoire de l’église l’avait enregistré dans ses murs séculaires, et la peau photographique des Lés du jeune artiste lauréat, venait de libérer un événement survenu en l’année 1694 : lors des obsèques de Tiberio Fiorilli décédé le 7 décembre de cette année-là, la troupe de la Commedia dell’arte, voisine de notre église sise à la Comédie-Italienne, accompagnait son interprète incomparable qui s’illustra dans le rôle de Scaramouche. J’imaginais Tiberio avançant sous nos voûtes porté par sa troupe au son des tambourins et des flutiaux – c’est en tout cas ce que me révéla le deuxième balancé au vent des souvenances.

 

Pourquoi évoquer Tiberio plus qu’un autre personnage célèbre ayant bénéficié d’une célébration en ce lieu ? À cause de son masque, bien sûr ! S’il est un personnage dont le vrai visage resta inconnu du grand public, c’est bien celui de Tiberio, caché sous le masque de Scaramouche. Mais la mort lui a retiré son masque de scène, et c’est Tiberio qui est apparu dans toute sa vérité, comme Dieu nous préfère. Alors Celui-ci déposa un baiser sur les lèvres de Tiberio pour aspirer son âme en Lui. C’est en tout cas ce que m’a raconté le troisième  ! On peut croire ce que racontent nos murs, ils ne mentent pas ! Pas plus que les Lés Lohnerien qui ont recueilli ces événements sur leur tissage diaphane. C’est ce dont m’assura le quatrième .

Quant au cinquième , il me demanda de m’approcher très près ; intrigué, je le fis. Il s’étira vers le sol pour me rejoindre, m’entoura de son voilage mystérieux, et tout bas, sur le souffle, il me fit une confidence : « Il existe une autre pièce de tissu de forme semblable à la nôtre ; ce très précieux est notre ancêtre. Il a recouvert le corps du Sauveur, et de la sorte, ce fut le premier témoin de cet instant sublime et unique que fut la Résurrection du Christ ! »

 

La tête me tourna ! Il continua : « Ne cherche pas ce sixième Lé, il ne se trouve pas accroché aux ogives de cette église, mais dans le cœur de chacun d’entre vous. Laissez imprimer votre visage sur son tissage – et non pas votre masque –, osez être vrais, n’ayez pas peur de vous envisager au travers du regard transfigurant du Christ, grâce au reflet de La Vérité qui vous vient Du Véritable ! »

 

Nous savons que, lorsque le Christ paraîtra, nous serons semblables à Lui, car nous le verrons tel qu’Il est. (1 Jn 3, 2) Le plus beau et le plus vrai des visages ! Étourdissant face-à-face annoncé ! Fascinante contemplation en perspective ! Nous serons enivrés par un double sujet de jubilation : Le découvrir tel qu’Il est, et nous découvrir semblables à Lui !

 

Jean-Marie Martin, oratorien à Saint-Eustache