Il y a 300 ans naissait Emmanuel Kant, et cet événement allait révolutionner la philosophie. Celui que Nietzsche surnommait “le mandarin de Königsberg”, ce petit homme à la vie très rangée et extraordinairement ordinaire (tous les jours inlassablement la même promenade, au même horaire) va marquer la philosophie, comme l’ont fait avant lui Platon, Aristote, saint Thomas d’Aquin et Descartes.

 

Trois grands axes de réflexion animent la pensée de Kant : 1) que puis-je connaître ? 2) que dois-je faire ? 3) que puis-je espérer ? Pour appréhender ces questions, Kant expose trois objets de la raison : Dieu, le moi et le monde. Ces trois idées transcendentales sont inconnaissables, mais elles régulent la raison, tant celle de la connaissance que la raison pratique. Elles doivent être cependant soumises à un examen critique qui au final aboutit à une métaphysique de la liberté. Pour Kant, l’homme, dans la mesure où il répond au devoir moral, est un être fondamentalement libre. Cette liberté s’exerce dans la capacité de l’homme à donner un sens à sa vie, et par le souci persistant qu’il doit entretenir pour se rendre digne d’être heureux. Il ne s’agit pas d’un bonheur-plaisir, mais d’un sentiment profond que l’homme doit éprouver quand il contemple la loi morale qui est en lui et le sublime du monde, qu’il observe dans l’immensité de la nature. Kant pense que ces deux choses (le ciel étoilé au-dessus de l’homme et la loi morale en lui) remplissent l’esprit d’admiration et de crainte.

 

Ce sentiment ne nous mène cependant pas directement à Dieu, car pour Kant, et dans les limites de l’entendement, il n’est pas d’expérience possible de Dieu. Dieu n’est pas connaissable : il échappe à l’expérience du temps et de l’espace. L’idée de Dieu ne peut s’exercer qu’au niveau de la raison pratique, lorsqu’elle rejoint le principe du souverain bien. Kant pense qu’on ne peut pas démontrer l’existence de Dieu ; il a au contraire réfuté les preuves données par ses prédécesseurs (par exemple la preuve ontologique reprise par Descartes). Kant réhabilite ainsi ce qui est selon lui le véritable terrain de la foi. La foi dont parle Kant est une foi qui repose sur la liberté. Kant est issu d’un certain piétisme allemand. Ce qui compte n’est pas d’obéir à des dogmes, mais de faire la volonté de Dieu, soit d’agir moralement. Pour Kant, cela revient à agir selon l’impératif catégorique (agir de telle sorte que la maxime de son action puisse être universalisable). La morale est liée à la liberté : je dois obéir à la loi morale qui est en moi et simultanément sur le terrain public, je suis nécessairement un sujet libre.

On peut finalement rassembler les trois grandes interrogations de Kant en une seule : “Qu’est-ce que l’homme ?”. Le philosophe a placé l’homme au cœur de la question métaphysique. En se demandant s’il y a bien une manière d’espérer dans la nature et dans l’histoire, Kant laisse à l’homme la liberté d’espérer, lui permettant de trouver un sens à la vie, et s’opposant par anticipation au néant qu’exprimera Sartre 150 ans plus tard et aux philosophies de l’absurde.

Selon moi, la pensée de Kant ne peut que susciter l’admiration ; l’exercice philosophique, sans une prise en compte de sa pensée, est presque impossible.

Yves Trocheris, curé