Ac 5, 12-16 / Ps 117 (118) / Ap 1, 9-11a.12-13.17-19 / Jn 20, 19-31

Chers frères et sœurs, ce sur quoi je voudrais surtout m’arrêter aujourd’hui, c’est Thomas. Le deuxième dimanche de Pâques, c’est toujours le dimanche de Thomas. C’est un rendez-vous fixe que nous avons chaque année dans l’octave de Pâques. Dimanche-octave qui constitue aussi un rendez-vous pour les catéchumènes qui ont été baptisés dans la nuit de Pâques et qui sont désormais des néophytes, des jeunes pousses. Nous les avons aujourd’hui avec nous et je m’adresse à eux tout autant qu’à nous tous et toutes.

En tout cas, il est bon pour nous de nous arrêter sur Thomas. Car enfin, l’autre jour, lorsque nous avons célébré votre baptême, lorsque nous avons fait mémoire du nôtre, nous sommes remontés à une source d’où procède toute notre vie. Et au cours de cette première semaine que vous venez de passer, vous vous êtes peut-être fait la réflexion que, à la fois, rien n’a changé mais plus rien n’est tout à fait comme avant. Ça ressemble beaucoup à la vie d’avant, mais c’est tout de même la vie d’après le baptême, la vie avec le Seigneur, la vie avec la grâce de la foi.

Et c’est sur ce petit mot que j’aimerais m’arrêter. Que ce soit en hébreu « emouna », en grec « pistis », en latin « fides », en français « foi », cela renvoie à une attitude intérieure très importante et qui n’est pas d’abord une connaissance. C’est d’abord une confiance — d’abord une confiance. Et au fond, si vous y regardez de près dans les textes que nous avons entendus, il y a une formule que Jésus utilise plusieurs fois. Il vient vers les siens, ressuscité, et qu’est-ce qu’il leur dit : « Shalom » « La paix soit avec vous ! ». Et la paix qu’il leur souhaite, ce n’est pas simplement la tranquillité, l’absence de conflits, non ! la paix qu’il leur souhaite, c’est d’être en
possession, par-devers eux, de tout ce qui peut leur offrir les moyens d’une vie pleine, entière, accomplie. Pas une vie protégée mais une vie vivable, une vie qui résiste aux adversités, une vie qui consonne avec les joies, une vie qui a regard au ciel et une vie qui a aussi regard aux frères. La foi répond à ce vœu de paix paisible, de paix vitale que le Seigneur nous adresse. En plusieurs passages, nous l’avons déjà vu pendant tout notre parcours de carême, Jésus a fait des rencontres, à quoi est-ce qu’il a invité les gens, à chaque fois ? : À faire confiance. Pas à faire confiance comme ça, de manière suspendue, mais à lui faire confiance.

Vous vous souvenez par exemple de son entretien avec Marthe et Marie et notamment Marthe, lorsqu’à un moment donné, alors qu’elle pleurait son frère, Jésus lui parlait d’une résurrection lointaine et alors que Marthe hésitait à se laisser convaincre, Jésus se proposait à Marthe : « Je suis la résurrection et la vie. » De la même manière, lorsque, à un autre moment (Jean 14) les disciples étaient un petit peu perdus et n’arrivaient pas vraiment à suivre Jésus : « Je vais vous préparer une place, quand je l’aurai préparée je reviendrai vers vous … Là où je vais vous savez le chemin … » Et c’est Thomas, d’ailleurs qui est déjà Thomas, qui lui dit : « Mais enfin, on sait même pas où tu vas, comment voudrais-tu qu’on sache le chemin ? » Réponse de Jésus — ce n’est pas une dissertation — c’est : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. »

Confiance, dans celui dont nous célébrons la Pâque, c’est-à-dire celui qui a tout donné pour nous.

Notre confiance elle n’est pas nécessairement complètement éclairée, mais elle nous est donnée pour que nous puissions marcher sur le chemin de la foi. Et c’est la deuxième chose que je voulais vous dire. Lorsque l’on parle de « foi », il ne s’agit pas de quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas. J’aime bien la formulation telle qu’elle est écrite dans la page d’évangile où on invite Thomas à « cesser d’être incrédule » et à « devenir croyant ». La foi — je parlais d’une attitude intérieure. Oui, c’est quelque chose que l’on choisit. C’est pas quelque chose que l’on possède, c’est pas quelque chose sur quoi on met la main, c’est pas quelque chose qui nous est tombé dessus, c’est pas quelque chose que l’on a trouvé par hasard : « la foi tu l’as, comment ça se fait que tu l’aies ? »…

Je préfère qu’on se situe dans l’ordre de l’être qui rejoint notre condition de disciples. Devenir croyant, devenir disciple, s’attacher au Seigneur, croire qu’il nous veut vraiment du bien, cheminer avec lui, et à l’intérieur de cet écrin de confiance, petit à petit, devenir plus familiers des choses de Dieu, c’est-à-dire devenir familiers en premier lieu de ces réalités humaines dans lesquelles le Seigneur nous parle, de ces réalités de la nature dans lesquelles le Seigneur nous parle, de ces réalités de la Création dans lesquelles le Seigneur nous parle et que, de plus, il nous confie.

Mais attention ! et ça tout le monde le sait mais il faut se le redire : là où il y a foi, il y a une vie de foi. Peut-être qu’on ne se le dit pas assez. La semaine dernière, lorsque l’on a médité sur l’Évangile de la résurrection, notre curé nous invitait à tenir. Il faut tenir, il faut persévérer sur un chemin où on se laisse interroger et nourrir par ce don, cette promesse et cette question de la résurrection de Jésus, de notre propre résurrection, dans l’avenir et dès maintenant.

Mais qui dit « chemin de foi » dit qu’il y a des haut et il y a des bas ; il y a des pleins, il y a des déliés ; il y a des moments où c’est facile, enthousiasmant et puis il y a des moments où franchement, c’est difficile, on rame. On entend souvent des chrétiens dire, « au fond, je sais même pas très bien si je crois ». Et c’est pas la question d’avoir des doutes, c’est la question de se situer en vérité par rapport à un attachement au Seigneur, se situer en vérité à l’école du Seigneur, se situer en vérité par rapport à l’Évangile qui peut nous nourrir et nous inspirer — pour peu qu’en nous y posions quelquefois les yeux.

Alors saint Thomas, aujourd’hui, je ne le vois pas tellement comme le mauvais élève ou la mauvaise tête qui boude dans son coin parce qu’il n’a pas été traité comme tous les autres et qui demande à avoir sa part de signes. Non, je le vois tel qu’on nous le présente. Il est notre « jumeau » et, après tout, il ne demande pas autre chose que ce qui a été donné spontanément aux autres. Mais ce que je relève, c’est cette invitation, que j’ai déjà mentionnée, que le Seigneur lui fait de passer de l’incrédulité à la foi. Et c’est un mouvement que nous faisons, au fond, perpétuellement. Dire qu’on a la foi une fois pour toutes, c’est juste pas vrai ! Tous les jours, la
« Parole du Seigneur nous réveille » comme dit le psaume, tous les jours elle nous interroge, tous les jours elle nous appelle et tous les jours on se remet en chemin.

Le Père Carré, un dominicain, grand prédicateur de Notre-Dame de Paris, avait écrit un livre auquel il avait donné un joli titre : « Chaque jour je commence », et c’est certainement vrai. Et je crois même que parfois, c’est plusieurs fois par jour qu’on commence, qu’on soit jeune dans la foi, qu’on soit âgé dans la foi ; qu’on soit un néophyte ou qu’on soit un vieux baptisé ou une vieille baptisée, chaque jour on a un rendez-vous avec le Seigneur qui nous appelle à croire, qui nous appelle à nous attacher à lui, qui nous appelle à écouter sa Parole, à l’assimiler, à la laisser porter du fruit en nous et, éventuellement, à la partager.

Cette page d’évangile que nous avons entendue, elle contient une béatitude : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. ». De fait, nous en sommes tous là. Pour nous, ce qui nous conduit au Seigneur aujourd’hui, c’est cette Parole qu’il nous laisse, que nous lisons inlassablement en Église. Au catéchuménat on l’a fait en long, en large et en travers, et il faut continuer de le faire. Une Parole qui nous nourrit, une Parole qui est à l’image de notre vie : imprévisible, parfois résistante voire… incompréhensible.

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu », heureux aussi ceux qui persévèrent dans l’écoute de la Parole et qui veulent entrer dans la béatitude de ceux qui sont les frères et sœurs du Seigneur, de ceux qui ont vocation, comme lui, à vivre d’une puissance que nous ne pouvons pas nommer autrement que « puissance de résurrection », tant il est vrai que cette grâce de Pâques entend toucher toutes les strates, toutes les épaisseurs, toutes les profondeurs de nos existences sous le signe de l’amour de Dieu.

AMEN