Résurrection du Seigneur, messe du jour de Pâques (soir), dimanche 20 avril 2025 à Saint-Eustache
Homélie du frère Gilles-Hervé Masson o.p. (13:00)
Ac 10, 34a.37-43 / Ps 117 (118) / Col 3, 1-4 / Lc 24, 13-35
Un rappel et une précision pour commencer. Le rappel — parce qu’il est important — c’est qu’en ce soir du jour de Pâques, il nous est bon de nous souvenir que ces jours de fête ont été des jours de fête religieuse pour nous chrétiens catholiques d’occident de Église romaine, mais aussi pour tous les chrétiens orthodoxes. Cette année, la Pâque tombait de manière tout à fait heureuse concomitamment, de sorte que nous avons pu célébrer ensemble — en tout cas au même moment, c’est déjà quelque chose — ce Mystère que nous professons.
Dans le monde entier a retenti cette heureuse annonce que je vous proposerai de reprendre à la fin de l’eucharistie et que vous connaissez : « Christos anesti ! Alithos anesti ! »: « Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! » Plaise au ciel que cette coïncidence de dates puisse se muer en quelque chose qui aiderait à notre communion. Ne perdons jamais de vue que notre division, à l’inverse, contrevient gravement à la prière du Seigneur : « Que tous soient un, Père, comme toi et moi nous sommes un ! » (Jn 17, 21). Et ce que Jésus avait certainement en vue, au-delà du premier cercle de la communion des disciples, c’est la communion du genre humain dont nous souffrons tellement des fractures si patentes et si violentes, notamment ces temps-ci.
Outre cette heureuse coïncidence pour les chrétiens, il y avait aussi nos frères juifs qui ont célébré Pessa’h ces jours-ci, la Pâque. Nous savons aussi ce qu’ils traversent. C’est une occasion de nous rappeler nos frères aînés dans la foi, ceux à qui Dieu a parlé en premier, le peuple dans lequel a surgi pour nous « Celui qui vient au nom du Seigneur », Celui que nous avons acclamé aux Rameaux et célébré tous ces jours-ci à l’envi. Autant de pensées qui sont, en tout cas pour moi, et j’espère pour vous un peu aussi, des consolations.
Quant à la précision : vous avez peut-être été surpris, parce que j’imagine que sur vos feuilles vous aviez un passage tiré de l’Évangile selon saint Jean au chapitre 20. Alors n’allez pas croire que je me livre à des facéties tout à fait gratuites, il est tout à fait possible de prendre le passage que je viens de lire de l’Évangile selon saint Luc : les disciples d’Émmaüs, pour la messe du soir du dimanche de Pâques. De sorte que vous aurez plus de grain à moudre pour méditer sur la résurrection du Seigneur.
Je le disais en commençant et ce n’est pas neutre : nous entrons dans quelque chose de nouveau. On aurait absolument tort de penser que, au fond, Pâques, c’est la conclusion heureuse de quelques jours (ou d’un cycle plus long) qui a eu ses heures pénibles : la mort de Jésus singulièrement, l’heure la plus sombre que le monde ait connu — dont nous-mêmes nous sommes conscients et encore, pas tout à fait et jamais suffisamment —, cette heure sombre où tout paraissait vraiment absolument compromis. Or non ! Selon une expression que j’affectionne beaucoup : la croix n’est pas le dernier mot de l’histoire. En revanche, elle est le point de non-retour de cet amour qui se dit et qui, effectivement, se donne. Celui qui a dit : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13), dit et fait exactement ce qu’il dit.
Au-delà de la croix, il y a la brèche de la résurrection. Et donc ce que nous fêtons en ce jour de Pâques, ce n’est pas la fin d’un cycle, mais bien plutôt le début de quelque chose. Et nous allons avoir pour commencer huit jours, une octave, comme la dilatation du jour de Pâques, pour commencer de réfléchir à ce que nous disons lorsque nous disons croire en « la résurrection du Christ », ou en « Jésus ressuscité » ou en « notre propre résurrection ». Autant de mots dont nous pressentons qu’ils sont pleins d’une magnifique promesse, extraordinairement positive, extraordinairement heureuse, extraordinairement encourageante, mais quand même, vous en conviendrez, des mots qui nous résistent.
Lorsqu’on a voulu dire du Christ qu’il s’était relevé, on a pris le lexique qu’on avait à disposition, on a pris le verbe « anistemi » qui signifiait « se lever, se relever ». Un mot tout simple, un mot du vocabulaire courant. Lorsque nous, chrétiens, nous l’avons pris, petit à petit, il s’est chargé de quelque chose de beaucoup plus riche, beaucoup plus subtil. Aujourd’hui, quand on dit « résurrection » ou « ressuscité », il ne s’agit pas simplement de « se relever » comme on se lève chaque matin de son lit. Il s’agit d’un relèvement, d’un nouvel éveil, qui touche toutes les strates
de notre être.
Aussi bien, si on se contente de considérer la résurrection comme le miracle définitif, qui prouve que, en effet, Jésus est bien « le plus fort » et que, après avoir été mort il est revenu à la vie, on se trompe du tout au tout. On écrase la signification de la résurrection. Bien sûr, nous le dirons encore tout à l’heure dans le Credo : nous croyons que Christ est ressuscité, nous croyons à la résurrection de la chair et nous entendons saint Paul nous redire à l’envi que, de la résurrection du Christ et de la nôtre, c’est tout un. Cette foi dans la résurrection à venir, elle nourrit notre méditation sur notre existence, elle nous donne la garantie que lorsque nous nous endormons dans le sommeil de la mort, nous ne passons pas de un à zéro, nous ne passons pas de quelque chose à rien. Non ! le Mystère reste entier, mais nous vivons d’une promesse d’éternité, nous croyons que nous sommes attendus par Celui qui nous a placés dans l’être. Nous pouvons méditer de manière consolante, et nous le faisons chaque fois que nous célébrons des obsèques,
nous pouvons méditer sur le sens profond de notre vie, les dimensions qu’elle peut prendre ici-bas, dès maintenant et au-delà, dans le monde à venir. Ha ‘olam Haba pas seulement le monde présent Ha ‘olam Haze.
Mais, il est important pour nous de considérer la résurrection dans toutes les dimensions qu’elle a pour nous, maintenant. Vous avez entendu ce que saint Paul dit aux Colossiens ? Comme elle est belle et suggestive cette manière qu’il a de parler : « Puisque vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut. » Relisez toutes les épîtres de saint Paul, vous verrez qu’il ne se perd jamais en spéculations gratuites — puisque de toutes façons on n’en sait rien — sur ce qui nous attend au-delà de notre mort, en revanche, il nous dit que l’espace dans lequel nous préparons cet après, c’est ici et c’est maintenant.
Il y a des forces de résurrection à mettre en œuvre, et pendant tout le temps pascal — et à vrai dire pendant toute notre vie de disciples — nous devrions constamment interroger ce que signifie pour nous, non seulement « ressusciter d’entre les morts », mais ressusciter de toutes ces circonstances qui nous abattent, qui nous mettent à plat, qui nous anéantissent. Ressusciter, se relever, vivre de la vie du Christ. Dans la méditation de l’homélie de 11h, notre curé, le Père Trocheris, nous parlait de la persévérance à méditer sur ce Mystère de la résurrection. Et je crois
vraiment, frères et sœurs, qu’il nous le faut faire, car nous ne l’interrogeons certainement pas suffisamment. Elle concerne la vie de notre corps, la vie de notre esprit, la vie de notre intelligence, la vie de notre affectivité et la vie de nos sociétés, et la vie du monde tel qu’il va.
Vous souvenez-vous du titre de la première encyclique du saint Père Jean-Paul II ? Redemptor hominis. Et il posait au centre de tout cette croix que nous avons regardée abondamment vendredi, sur laquelle nous sommes restés encore dans le silence impressionnant du grand et saint Samedi. Moment que nous avons maintenant dépassé. Cet « arbre de mort » à première vue, il est en réalité arbre de vie et le jardin de la résurrection a vocation à illuminer nos existences. Pendant une semaine nous allons célébrer la résurrection ou plutôt le Christ ressuscité. Pensons toujours plutôt en termes de personne plutôt qu’en termes trop abstraits. Pendant ensuite cinquante jours nous allons continuer d’interroger et de nous nourrir de cette interrogation, de ce Mystère de la résurrection qui résonne, comme je vous le disais, comme une promesse.
Pour parler de la résurrection, peut-être que l’on peut faire comme le faisait saint Irénée qui indiquait que lorsque l’on se nourrit de l’eucharistie, on nourrit en nous la vie éternelle. Nous nourrissons cette vie-ci, notre vie de maintenant, en même temps que sa portée d’infini. Mais nous nous nourrissons bien de ce pain super-substantiel — comme disaient les Anciens —, ce pain qui n’est autre chose que le Seigneur venant jusqu’à nous, sous les espèces du sacrement de son corps et de son sang.
Ce soir, je voudrais nous laisser avec une grande, mais aussi une belle et une heureuse interrogation ouverte. Les disciples, nous dit-on, n’ont jamais rien compris pendant toute la vie de Jésus lorsqu’il leur parlait de sa résurrection. Comment d’ailleurs auraient-ils pu comprendre ? Ceux qui sont les premiers témoins de la résurrection, pour le moment, ils n’ont aucun moyen de digérer l’évènement. Simplement, ce fait va s’imposer à eux et il va bien falloir
qu’ils s’en débrouillent : celui qui était mort est vivant ! Et c’est pas comme lazare, c’est pas un revenant qui reviendrait du séjour des morts pour nous retrouver, ici-bas, non ! Il y a quelque chose de nouveau, on pense à l’Apocalypse : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5), voici que je vaincs toutes les vétustés, toutes les finitudes, toutes les mortalités de ce monde.
Alors frères et sœurs, interrogeons-nous : qu’est-ce qui, en nous, en chacun de nous, a besoin de renaissance, a besoin de résurrection, a besoin de renouveau, a besoin d’entrer dans un processus d’éternel renouvellement ? Qu’est-ce qui dans notre Église en a besoin ? dans notre société ? ou dans l’histoire du monde ?
Devant le Mystère de la Résurrection, ne nous contentons pas de répéter des formules qui, à force d’être répétées sans être pensées, pourraient être aussi gratifiantes que finalement pleines de désillusions. La confession de notre foi à la résurrection ne portera son fruit que si elle nous tient en éveil, que si comme tous les premiers : Jean, Pierre, Marie-Madeleine et les autres, nous l’interrogeons et nous essayons de découvrir le mystère de ce geste fou qu’a fait le Seigneur, nous aimant jusqu’à la mort, la mort sur la croix et ressuscitant dans la puissance de l’amour, cette même puissance dans laquelle il était mort, au titre de la folie du lien qui l’attachait à nous.
Commençons notre chemin de Pâques et notons d’entrée de jeu que nous ne sommes pas près d’arriver… Au vrai, pour ne pas se tromper dès le départ, nous savons que nous n’arriverons jamais. Comme disait un Père de l’Église (c’était Grégoire de Nysse) nous irons « de commencement en commencement vers des commencements qui n’ont pas de fin. ». C’est d’éternité et de plénitude qu’il est question ici. Le chemin sera long, mais le chemin sera beau et
ce chemin-là, c’est celui de la vie, c’est celui de la liberté, c’est celui de la communion, c’est celui de l’amour.
AMEN