L’Esprit qui vient sur toute chair, l’Esprit qui révèle et vivifie, sans se lasser jamais. Si l’Ascension produit en nous le sevrage d’une certaine présence de Jésus, retrait nécessaire à l’émergence de l’Eglise, cette séparation est aussi attente : désir de cette effusion d’Esprit qui enthousiasme, relance et régénère, déconfine et réchauffe le cœur et la  foi  des disciples. Désir de Pentecôte, toujours !

L’Esprit n’est pas abstrait ni séparé. La foi chrétienne n’est pas un spiritisme ! Au fond l’Esprit Saint n’est pas un … « pur esprit » ! Sans l’Esprit Saint la foi serait une idéologie, la liturgie un folklore, l’Eglise une secte ou une organisation humaine internationale, le catéchisme une propagande… Seul l’Esprit anime et transfigure toutes nos réalités, les révèle à leurs vraies dimensions. Sans usure ni érosion.

Et c’est l’Esprit qui nous fait entrer dans les profondeurs du mystère de l’Incarnation. Sans lui la confession de cœur ne rejoindrait pas la confession de bouche et notre foi serait une adhésion extérieure, morte. « Et vous qui dites-vous que je suis ? » C’est bien l’Esprit, le Souffle, qui nous inspire des éléments de réponse quant à ce Jésus rencontré dans son « humaine condition ».

Au service de l’Incarnation l’Esprit nous fait donc reconnaître et confesser le Fils et, du même élan, nous réconcilie avec notre propre chair ! Notre corps n’est pas un contenant, ou une simple enveloppe. Nous ne pouvons prétendre rencontrer l’autre, entrer en relation avec lui, communiquer avec lui, converser avec lui, faire de lui un « prochain », si nous éludons son corps. Je suis toujours fasciné et attristé de ce qui se vit et se lit à notre époque sur les fameux « réseaux sociaux » : tant d’invectives, de jugements définitifs, d’anathèmes, de « blocages » ( !), de méchanceté gratuite, à l’endroit de personnes qui n’auront pas été rencontrées dans leur condition incarnée, lieu de leur fragilité et de leur vérité. Comment connaître quelqu’un sans croiser son regard, sans pouvoir le toucher, sans partager avec lui un repas ? Il y a là sans doute une forme d’hérésie gnostique, de manichéisme, de dualisme mortifère (séparation trompeuse de l’âme et du corps) où le « prochain » se réduit à des idées, des opinions, des stimuli numériques… Exit ce qui fait la beauté ou la complexité de son histoire, le mystère de sa personne, le clair-obscur de son être. C’est bien l’Esprit qui doit nous inspirer de ne pas céder à cette pente, de croire à la possibilité du dialogue « in real life » .

Sublime paradoxe de la foi chrétienne : c’est bien l’Esprit qui nous fait aller plus avant dans les secrets de la condition charnelle. Ne pas fuir notre corps et ses exigences de relation, de communion : par son Ascension le Christ ne s’est pas évadé du monde. Un poète l’a bien compris, Charles Péguy :

« Car le spirituel est lui-même charnel

Et l’arbre de la grâce est raciné profond

Et plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond. »

Jusqu’au fond, sans se lasser.

Ne nous lassons pas non plus d’invoquer l’Esprit Saint, lui qui se joue de toute fatigue.

 

                                                                                                                                    Jérôme Prigent, Oratorien à Paris.