Évangile du mercredi 8 juin 2022 (Matthieu 5, 17-19)

 

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :

 

« Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux. »

 

Méditation  « Accomplir ? »

 

Que signifie exactement « je suis venu accomplir la Loi et les Prophètes » ? Dans les relations entre juifs et chrétiens, la question de l’accomplissement est l’une des plus difficiles. En effet, le christianisme est souvent pensé comme l’achèvement du judaïsme, avec l’idée que les juifs sont, au fond, des chrétiens inaccomplis, et que la vocation d’Israël est de reconnaître pleinement le Christ comme Messie pour toute l’humanité. Cette affirmation, profondément ancrée dans les représentations chrétiennes, ignore la permanence d’Israël comme peuple, et a tendance à limiter le judaïsme à une préparation évangélique. De plus, le verbe accomplir dans la traduction liturgique de la Bible que nous utilisons dans ces méditations bibliques, est employé à de nombreuses reprises, en particulier dans les évangiles, mais pour traduire deux verbes grecs complètement différents.

 

Ici, le verbe grec appartient au vocabulaire du « plérôme » c’est-à-dire de la plénitude. On peut le traduire par « accomplir », verbe construit sur la racine « -plir » que l’on retrouve dans « remplir ». Accomplir la Loi et les prophètes est alors compris comme une opération par laquelle une signification complète est donnée à ces deux parties, la loi et les prophètes, de ce que nous appelons l’Ancien Testament.

 

Mais le verbe français « accomplir » est aussi couramment employé pour traduire un autre verbe grec très différent, en particulier au moment de la mort de Jésus dans la passion selon saint Jean. Dans cette ultime phrase de Jésus, « Tout est accompli » (Jean 19,30), le verbe grec relève d’un champ lexical lié à la temporalité, au « telos ». L’achèvement ne signifie pas ici une plénitude obtenue par une manœuvre de remplissage, mais introduit plutôt l’idée de l’achèvement d’une période, et de l’ouverture d’une autre séquence que l’évangéliste décrit en disant que, à ce moment précis, Jésus remet l’esprit.

 

Dans cette page de Matthieu, nous n’en sommes pas encore là – au contraire, l’évangéliste insiste sur le fait qu’il faut attendre que « tout se réalise », et qu’en attendant la loi n’est pas abolie au point que compte le moindre iota ! Il faut donc reconnaître les limites de notre langue car le français nous conduit à confondre plénitude et achèvement. Pour nous, le Christ est bien la clé qui nous permet d’avoir accès à la plénitude des Écritures, mais ce processus par lequel nous recevons la Parole pour l’inscrire dans nos existences et en être témoins est loin d’être achevé. Selon Matthieu comme selon Jean, l’Évangile insiste à la fois sur un accomplissement qui nous est accessible, en soulignant qu’il est en Jésus-Christ seul, indiquant par là le chemin qui est encore devant nous. Que Dieu lui-même achève en nous ce qu’il a commencé !

 

Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire, Paris