9 novembre 2018 Editoriaux hebdomadaires4 Minutes

La Première Guerre mondiale fut un désastre humain, un désastre pour l’Europe et sa culture. Ce 11 novembre 2018 nous fêtons l’Armistice. Nous fêtons donc la victoire de la France et de ses alliés. On peut toutefois se demander si cette victoire fut vraiment une victoire pour la paix. La reprise seulement vingt ans plus tard de la guerre avec toutes les conséquences et les horreurs du second conflit mondial semble manifester le contraire.
La guerre sur le continent européen a peut-être vraiment cessé le 9 novembre 1989 lors de la chute du mur de Berlin. On pourrait même dire qu’elle ne s’achève définitivement qu’avec la fin de la guerre des Balkans en 2001. Ces conflits aux ombres longues et gigantesques, ces conflits si terriblement meurtriers ont marqué des générations d’hommes et de femmes dans des proportions dont il est encore difficile aujourd’hui de prendre la mesure. Ce sont ces conflits et leurs conséquences qui ont conduits les pays européens à vouloir s’éloigner de toutes formes de populisme et de nationalisme, et à instituer entre eux un esprit de paix perpétuelle.
Aujourd’hui nous vivons de cette paix. C’est peut-être en son nom que tous les hommes dont nous faisons mémoire ce jour sont tombés. Face et au-delà des horreurs qu’ils vivaient sur le front, ils désiraient un monde meilleur, un monde où la dignité du soldat même dans sa mort au combat ne serait plus ternie, un monde où l’espérance de la paix pouvait persévérer.
Ce message a une dimension politique, mais il concerne aussi le chrétien en tant que tel. Selon saint Paul, les chrétiens sont bien ces hommes et ces femmes qui renoncent à entretenir la haine à l’encontre de ceux qui ne sont pas spontanément assimilés à des frères et sœurs, voire même à l’encontre de ceux qui sont directement envisagés comme des ennemis : « si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif donne-lui à boire… Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 20).
Les Écritures attestent que la fidélité de Dieu à son Alliance est perpétuelle. Mais il y a plus : par Jésus-Christ, Dieu lui-même confie sa fidélité à l’être humain. De cette fidélité de Dieu, l’homme devient responsable. Elle devient un ressort de l’histoire humaine. Par conséquent, dès que l’être humain entreprend quoi que ce soit rendant cette fidélité de Dieu non manifeste, illisible, il s’écarte du dessein de Dieu, il s’oppose à la réalisation de ce dessein. Il me semble qu’à partir de la Première Guerre mondiale, la perception de l’action de Dieu dans notre histoire s’est effacée de la conscience humaine : « où est Dieu ? Que fait-il pour nous ? Que pouvons-nous espérer de lui ? ».
Commémorer toutes les victimes de la Première Guerre mondiale, remercier Dieu pour la paix ininterrompue que la France et l’Allemagne et un grand nombre de pays européens vivent depuis plus de 73 années, raviver pour aujourd’hui notre désir de paix, cela nous serons invités à le vivre ce dimanche 11 novembre 2018. C’est peut-être ainsi que nous entrerons dans cette attitude promue par l’Église lorsqu’elle donne à entendre ces mots du Seigneur : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu » (Mt 5).

Yves Trocheris, prêtre de l’Oratoire, curé de Saint-Eustache.