Un chrétien n’écrirait plus cela sur la circoncision. Dire que ce sont les croyants en Jésus Christ qui sont les circoncis véritables, alors que des Juifs vivent actuellement au milieu de nous et parfois se font massacrer parce qu’ils sont Juifs, a quelque chose d’insupportable. La Shoah a fait six millions de morts, dont les mâles ont souvent été identifiés parce que physiquement circoncis. Le 27 octobre dernier, une fusillade a tué onze personnes dans une synagogue, à Pittsburgh, aux Etats-Unis ! Il faut être saint Paul pour se permettre d’écrire ce qu’il écrit sur la circoncision, précisément parce qu’il est juif, matériellement circoncis, et qu’il estime qu’entre les disciples du Christ d’origine juive d’une part, et les disciples du Christ d’origine païenne d’autre part, il n’y a pas de différence.

C’est là la pointe du propos de Paul. Il aurait le droit de considérer sa judaïté comme un avantage au sein de l’Eglise, l’Eglise de Jésus le Juif. Mais pour un chrétien, il n’est pas légitime de se glorifier de ce que l’on a hérité dans son berceau – sa famille, sa classe sociale, sa religion, sa nationalité – ni d’en tirer quelque avantage que ce soit. Nous sommes tous sortis nus du ventre de notre mère, et c’est nus également que nous serons rendus à la terre. La seule gloire d’un chrétien, c’est sa faiblesse dont il sait que le Christ peut la transformer en force.

D’où la nécessité de cultiver notre proximité avec Jésus, par la prière, par le temps donné à l’oraison, par la façon dont nous nous efforçons de l’imiter, par le souci du pauvre auquel Jésus s’identifie lorsque nous nous approchons de lui pour le servir. En donnant ainsi de notre temps, nous mutilons volontairement notre vie d’une part de la durée dont nous pourrions profiter pour en jouir ; c’est peut-être cela que l’Ancien Testament appelle la « circoncision du cœur » (Deutéronome 30, 6 ; Jérémie 4, 4).

Méditation

L’exclamation du Sage « Toute parole est lassante ! » devrait interdire tout commentaire à ce texte fulgurant, qui constitue une sorte d’énigme à l’intérieur de la panoplie biblique du Premier testament. Une extrême lucidité sur l’ambivalence de la condition humaine, qui touche parfois au cynisme, laisse une impression curieuse au lecteur de la Bible. La promesse que Dieu accorde à Abraham, l’alliance nouée avec le peuple d’Israël, la perspective de la vie messianique, qui sont des éléments profondément structurants de l’Ancien Testament, sont complètement absents ! En réalité, la présence à l’intérieur du canon biblique de ce joyau littéraire, dont le sommet est constitué par le poème sur la vieillesse (Qo 12, 1-8), exprime une tension féconde pour les chrétiens.

Le style de l’écriture, les mots employés, les thématiques choisies, montrent que l’auteur se situe peu de temps avant le début de l’ère chrétienne, et accepte une forme de dialogue avec la philosophie grecque. On sait, en effet, qu’après la victoire d’Alexandre et après sa mort, la civilisation grecque a durablement pris pied dans une grande partie du Proche-Orient, aussi bien dans l’actuelle Syrie que dans l’actuelle Égypte, enserrant la Terre sainte entre deux empires grecs. Cette rencontre entre civilisations se traduit en ruptures et en fécondité, dont la Bible porte aujourd’hui encore la trace… jusque dans le Nouveau Testament qui fut rédigé intégralement en grec, alors que Jésus ne le parlait probablement pas !

Le débat entre la vision grecque et l’écoute en monde hébreu trouve un écho dans la phrase du passage de ce matin : « Personne ne peut dire que l’œil n’est pas rassasié de voir, et l’oreille saturée par ce qu’elle a entendu. » De plus, la lassitude et la lucidité du sage qui, devant les contradictions qu’il éprouve dans sa vie, ne voit que l’éternellement recommencement du même, sont reçus à l’intérieur de la réflexion de Qohélet. En cela, ce document n’est pas seulement un avant-goût de la rencontre entre la foi et la philosophie, entre la révélation de Dieu et la raison humaine, mais une authentique opération d’inculturation à l’intérieur de la société nouvelle et universelle que représente la Grèce de l’époque.

Pourtant, le livre lui-même, plus encore quand il est lu à l’intérieur de la liturgie chrétienne, vient interroger profondément l’idée que rien ne change sous le soleil ! Certes, les jours s’écoulent, et le monde semble tourner sur lui-même, et parfois s’enfonce dans des querelles superficielles. Mais, pour les chrétiens, ce temps de l’histoire, avec ses ambivalences et même ses violences, est aussi le lieu que Dieu choisit pour révéler son dessein, jusqu’à prendre chair en Jésus de Nazareth.

La méditation de Qohélet, surtout en ce jour où nous fêtons saint Vincent de Paul, nous aide à accueillir la sagesse humaine, dont la philosophie constitue l’une des formes, tout en osant inscrire un geste d’amour dans l’histoire, à la suite de Celui qui est venu dans le monde par grâce.

Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire à Lyon