Visuel : Fresque du transept sud restaurée en octobre 2019

Chers frères et chères sœurs,

Souvent le soir, je parcours le déambulatoire de notre église qui depuis bientôt quatre semaines reste vide. Je ressens alors combien effectivement Saint-Eustache est pleine de vos absences, mais tout aussi pleine de tout ce que nous y avons ensemble vécu : les liturgies, les temps de prière, les baptêmes, les mariages, les obsèques, les premières communions …. les auditions d’orgue, les concerts, les 36 heures de la musique … les nuits blanches, les événements autour de l’art contemporain …. les repas à l’intérieur de l’église avec les bénévoles de la Soupe … Je ne peux pas tout énumérer, et de toute manière, au-delà de toutes ces activités, ce qui compte, ce qui reste, ce sont vos visages avec tout ce qu’ils peuvent exprimer de vos vies de femmes et d’hommes. Ce qui reste plus encore demeure la rencontre et le rassemblement de ces mêmes visages lorsque leurs expressions manifestaient combien nous étions tous saisis par un même élan de partage et de foi, par le sentiment de vivre ensemble quelque chose de bon, de vrai, et de beau.

Tout cela, nous manque à tous, mais dans ce manque, nos cœurs et nos esprits peuvent être incités à retrouver ce qui nourrit réellement notre désir et notre manière d’être ensemble. Notre désir de Dieu ne part-il pas d’un homme qui s’absente de ses proches pour revenir à eux en ayant reçu, de celui qu’il appelle son Père, et que nous reconnaissons tous comme le Dieu créateur, une nouvelle présence ? Oui, une présence plus forte encore de vie, puisqu’elle est finalement communion parfaite, vie de Dieu. C’est précisément au moment où Jésus est arrêté, peu de temps donc avant qu’il ne s’absente radicalement, que ses disciples se trouvent en état de dispersion. Ils vivent ainsi ce que Jésus lui-même leur avait annoncé : « Cette nuit, je serai pour vous tous une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. » (Matthieu 26, 31). Une mise à l’épreuve des disciples qui est certainement liée à la certitude que les ténèbres ont remporté le combat. Une mise à l’épreuve enfin par le fait pour le disciple de se sentir comme privé de la liberté d’âme et d’esprit de croire qu’une autre lumière est toujours là, près de lui, agissant de façon cachée dans l’épaisseur du mystère qu’est Dieu.

Nous voici maintenant dans la semaine sainte. Nous la célébrerons en étant certes séparés et dispersés, mais cependant réunis dans ce même esprit que nous partageons encore maintenant, bien au-delà des distances qui nous séparent, bien au-delà encore de ces techniques qui de façon si obsédante tentent de remplir ces distances. Oui au-delà de tout cela, nous partageons avec toute la force de notre cœur cet esprit qui nous a été remis, l’esprit de Jésus, l’Esprit Saint.

Frères et sœurs, je nous exhorte tous et toutes à ne pas être seulement « spectateurs/-trices » de ce qui se passe sur nos écrans de télévision ou d’ordinateur… Nous pouvons poser des gestes simples pour accueillir chez nous le mystère de la Passion du Seigneur. C’est cette simplicité que nous avons choisie pour notre site ? Quelques méditations nous accompagnent, des textes, la lecture de la passion par Laurent Charpentier pour les Rameaux, ou encore la lecture du Chemin de croix le jour du Vendredi Saint, celle enfin de la passion pour le Vendredi Saint par François Regnault. L’œuvre de Pascal Convert est désormais posée dans le chœur de l’église. Vous pourrez en contempler les images sur le site. Pour la vigile pascale, Stéphane Hézode nous chantera l’annonce de la Pâque, l’exultet.  Bien sûr, vous pourrez entendre l’orgue de Saint-Eustache qui, à sa manière proclamera le mystère de Pâque.

Bientôt viendra le moment de se retrouver. Il faut déjà songer à ce temps, et pour mieux le préparer, tirer les leçons de ce que nous vivons actuellement. Je souhaite exprimer des pensées toutes particulières pour tous ceux et celles qui sont frappé(e)s par le Covid 19, pour ceux et celles qui ont perdu leur vie, pour ceux et celles qui souffrent durement, pour ceux et celles qui font l’épreuve difficile d’un deuil si particulier, parfois sans à-dieu possible. Voilà autant de souffrances et de blessures dont il faudra savoir prendre soin lorsque nous nous retrouverons. Frères et sœurs, la semaine sainte, ce sont ces trois jours si denses de la passion, ces jours où la mort semble tout réduire à néant, à commencer par l’espérance des disciples. Les disciples du Christ semblent avoir perdu la capacité d’envisager le jour d’après, un « à-venir ». Mais ces jours opaques débouchent mystérieusement sur une lumière jusqu’alors inconnue des hommes : le jour de la résurrection. Préparons-nous à ce moment ! « La seule prière que Tu puisses exiger de moi est la suivante : attendre dans le silence et la vigilance que Tu viennes, Toi qui de toute manière occupes le centre même de mon être ; attendre que Tu m’ouvres la porte par l’intérieur, afin que je puisse pénétrer, moi aussi, jusqu’au fond de moi-même, jusque dans le sanctuaire caché de ma vie, et là, répandre enfin devant Toi la coupe du sang de mon cœur» (Karl Rahner, Appel au Dieu du silence).

Bonne semaine sainte à toutes et à tous,

Yves Trocheris
Prêtre de l’Oratoire de France, curé de Saint-Eustache