20 avril 2020 Méditations oratoriennes7 Minutes

Visuel : Les pèlerins d’Emmaüs, triptyque peint par Arcabas en 1998

Évangile du 26 avril 2020

Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux faisaient route vers un village du nom d’Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé. Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s’approcha, et il faisait route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : « Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ? » Et ils s’arrêtèrent, le visage sombre.

Prenant la parole, l’un d’eux, nommé Cléophas, lui dit : « Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci ! » – « Quoi donc ? » leur dit-il. Ils lui dirent : « Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s’est montré un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait délivrer Israël ; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées ! Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S’étant rendues de grand matin au tombeau et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le disent vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu ! »

Alors il leur dit : « Ô cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait.

Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d’aller plus loin. Mais ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme. » Il entra donc pour rester avec eux. Et il advint, comme il était à table avec eux, qu’il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais il avait disparu de devant eux. Et ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ? »

A cette heure même, ils partirent et s’en retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui dirent : « C’est bien vrai ! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon ! » Et eux de raconter ce qui s’était passé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.

Luc 24, 13-35

Méditation

Merveilleux récit, plus théologique et liturgique qu’historique, par lequel Luc nous parle de l’Autrement de la Présence de Jésus à ceux qui, après Pâques, seront ses apôtres.

Récit catéchétique à usage communautaire. Tout y est : liturgie de la Parole, en commençant par Moise et les prophètes, puis célébration de l’Eucharistie en cette Auberge fictive, où l’évangéliste nous montre que c’est au travers du pain rompu, que les premiers chrétiens peuvent reconnaître le Ressuscité, se nourrir de lui, puiser dans cette Présence l’audace d’aller porter la Bonne Nouvelle. Cette conclusion des pèlerins d’Emmaüs m’a toujours parlé.

Le Chrétien, la communauté chrétienne, pour exister ne peut se passer de l’Eucharistie. Et d’admirer la parole de Felix devant ses juges : « L’Eucharistie fait l’Eglise et l’Eglise fait l’Eucharistie. » Parole reprise au Concile dans les mêmes termes. Mais comment supporter que, par manque de prêtres – et cela ne fera qu’empirer –, l’Eucharistie se fera plus rare, et les chrétiens se verront sevrés de ce qui est essentiel à leur vie ? Qu’est-ce qui prime ? L’Eucharistie, don du Seigneur à ses disciples, ou le sacerdoce, création Humaine certes légitime, au statut intouchable, pour la célébrer. Il s’agit donc à mes yeux non de nier l’importance, voire une des missions du prêtre, à célébrer l’Eucharistie, mais de remettre en question l’identité de celui-ci, pour que, dans l’évolution du temps, son statut s’accorde avec les modalités de ce monde qui bouge.

Ou comme le dit François, regardant ce que l’Église de demain ne manquera pas d’être : « Retenir vivant le feu plutôt que conserver les cendres. » Outre ce statut modulable, les eucharisties domestiques proposées par J. Moingt, avec l’accord de l’évêque, sont certainement une solution pour qu’à l’Auberge de nos rencontres communautaires le pain puisse être partagé, la coupe échangée, et que Jésus vive dans cette Présence Autrement, qui n’exige plus sa présence physique mais fait qu’il « disparut à leurs yeux ».

Et eux sont tout chauds d’aller témoigner de ce qu’ils avaient vécus, du moins ce que nous donne à lire Luc dans ce merveilleux récit dont Arcabas, toujours insatisfait, a donné 35 représentations, signe que, dans l’Église aussi, tout est ouvert pour que l’Eucharistie ne manque à personne.

Michel Dupuy, prêtre de l’Oratoire à la Valfine, Jura