“Pour travailler à Saint-Eustache, il faut aimer la musique”. C’est par cette phrase que le père Yves Trocheris a rompu le silence lors de mon premier contact avec lui, en novembre 2020. C’était pour mon entretien d’embauche. Après avoir passé le premier barrage constitué par Louis Robiche et Chantal Rosa, j’ai été confrontée au curé. Il est resté longtemps sans parler, tout en parcourant mon CV. Il a dû voir que je donnais des cours de piano. Cette phrase signifiait que ma candidature était retenue. Je n’ai pas clairement vu le rapport avec le poste d’assistante paroissiale pour lequel je postulais. Sans doute parce que je ne connaissais pas encore l’esprit Saint-Eustache. C’était en tout cas le début d’une aventure de plus de 5 ans avec le père Yves, ce qui me donne une certaine légitimité pour dresser son portrait… un portrait forcément subjectif.

Quelques jours après mon arrivée, il m’a invitée à déjeuner au presbytère, et nous avons parlé musique. Ou plutôt… je l’ai écouté me parler musique. Et c’était incroyable : je découvrais un amoureux de Bach, Beethoven, Bruckner (“les 3 B”, comme il se plaît à le dire), qui non seulement connaissait les œuvres de ces compositeurs, mais pouvait également donner un avis sur tel ou tel interprète qui joue telle œuvre précise. Le père Yves n’a pourtant pas reçu d’enseignement musical : ses parents préféraient qu’il soit scout. Le père Yves est la preuve qu’on peut être mélomane sans avoir pratiqué un instrument. Il a ainsi assisté à d’innombrables concerts comme ceux du Festival de Verbier en Suisse, qui l’ont marqué.

Fils d’officier de marine, Yves Trocheris est né après 2 sœurs. Il a grandi au Havre. Une des premières émotions ressenties face à une œuvre d’art, il l’a vécue en classe, face à une reproduction de La Route de Nicolas de Staël. Le week-end, il allait au musée des Beaux-Arts quand les autres enfants regardaient la télévision. Aujourd’hui, il considère que Nicolas Poussin est le plus grand peintre français. Il précise cependant que son expertise concerne la philosophie de l’art plus que l’histoire de l’art. C’est pourquoi dès qu’il aura du temps, il aimerait suivre des cours à l’École du Louvre.

Il est également sensible à la poésie (Hölderlin, qu’il lit dans le texte…). Il est féru d’histoire, et lors de ses topos informels (par exemple à table), il nous confie souvent en s’amusant qu’il descend de tel roi ou qu’il est cousin très très lointain de tel monarque.

La profession de son père l’a amené à beaucoup déménager, et l’a habitué à trier, jeter, faire le vide, à ne garder que l’essentiel. Ainsi, l’opportunité de partir en Allemagne de 2012 à 2018 s’est-elle inscrite naturellement dans son parcours de vie.

La langue allemande permet à la pensée de ce germanophile de se déployer : le verbe est à la fin des phrases, ce qui oblige à écouter son interlocuteur jusqu’au bout. Il profite de son séjour en Allemagne pour traduire en français trois œuvres du théologien Karl Rahner (Éditions du Cerf).

À Wiesbaden, il se lie d’amitié avec Françoise, une paroissienne, avec laquelle il partage une passion pour les lévriers italiens. Ce type de chien racé, élégant, correspond à ses critères de beauté, mais c’est un chien très fragile. Après Galant, c’est U-Lys qui partage sa vie, et comme ce chien délicat s’effraye des trottinettes et autres engins roulants (nombreux à Paris !), il passe la majeure partie de son temps en Allemagne, chez Françoise, où il jouait avec Romance, de deux ans son aînée, jusqu’au décès de celle-ci en mai.

En 2018, le père Yves rentre d’Allemagne pour devenir curé de Saint-Eustache. Il y avait été vicaire quelques années plus tôt. Cet amoureux de la mer aime comparer l’église à un vaisseau, dont il est le capitaine. De fait, en 7 ans, il entreprend une série de travaux et restaurations sans précédent. Les chapelles retrouvent les unes après les autres leur blancheur et les tableaux leur éclat ; de nouvelles œuvres d’art font leur apparition dans l’église. Des liens personnels se tissent au fil du temps avec les membres de la COARC et de la DRAC. Il dépense également beaucoup d’énergie à chercher des mécènes pour le Grand Orgue. En septembre 2024, son mérite est reconnu sur le plan institutionnel : il devient Chevalier des arts et des lettres.

Dans le travail, après un temps d’adaptation, je comprends comment le père Yves fonctionne. J’ai entre-temps changé de fonction, m’occupant dorénavant de la communication de la paroisse.

Savoir deviner ce que n’a pas exprimé cet homme intérieur, poser les bonnes questions, aller droit au but dans mes demandes, avoir listé les points à éclaircir pour régler rapidement une foule de sujets, voilà la méthode que je m’efforce d’appliquer. Il me taquine en disant que je le harcèle… tout en reconnaissant qu’il apprécie cette façon de faire.

Le métier de curé n’est pas simple : on passe d’un problème à l’autre en une minute, on passe de rendez-vous en réunion ; on fait face à des plaintes, et on reçoit peu de remerciements. Les nombreuses sollicitations ont mené le père Yves à une forme de surmenage en fin de mandat. Et il a pu oublier des rendez-vous, ou manquer quelques messages arrivés dans sa boîte-mail.

Il m’est moi-même arrivé de pester contre lui pour ses absences de réponse écrite, ou ses retards dans les rendez-vous que je lui avais fixés. Par miracle, ma colère fondait instantanément dès que je l’avais en face de moi ! Car, dans nos relations, j’ai la chance d’avoir senti une vraie confiance.

Nous lui souhaitons beaucoup de joie dans son nouveau ministère.

Je finirai en vous divertissant avec une petite liste à la Prévert de ce qu’il aime/n’aime pas.

Odile Guégano, chargée de communication pour l’église Saint-Eustache

Il aime

Le café, et que celui-ci lui soit servi

Que son bureau soit bien rangé

L’art contemporain

Que les tâches qu’il nous demande soient faites rapidement

Qu’on lui demande des nouvelles d’U-Lys

Déjeuner à La Fresque

Gaston Lagaffe

Les tartes au citron meringuées

Rappeler que dans le protocole, les prêtres sont servis avant les dames

 

Il n’aime pas

Qu’on lui coupe la parole

Le cochon

Qu’on lui souhaite “bon week-end”

La statue de Jeanne d’Arc dans l’église

Le Départ des Halles de Raymond Mason dans l’église

La poussière dans l’église

Faire la cuisine

Le jardinage