En vue d’une intégrale de l’œuvre pour orgue de Johann Sebastian Bach que nous donnerons avec mes étudiants le 26 novembre prochain à la Philharmonie de Paris, nous consacrons depuis septembre la totalité des cours à étudier, approfondir et tenter de comprendre l’œuvre du cantor de Leipzig. À l’issue de nos séances hebdomadaires, je me retrouve plein de sentiments mêlés : d’un côté, émerveillé par la beauté et la vérité qui se dégagent de son œuvre mais d’autre part, déstabilisé par son écrasante supériorité.

 

Sa musique procède de sa profonde conviction humaine et chrétienne, tout chez lui est au service de Dieu. Son œuvre n’est jamais futile, elle n’essaye pas de séduire nos sens. Elle nous parvient avec simplicité et nous élève avec elle. Sa musique n’est pas davantage l’expression d’une foi complexe ou élitiste. Elle est un catéchisme simple et limpide, l’expression humaine d’une foi inébranlable !

 

Ce qu’il y a de touchant dans sa musique c’est qu’on y trouve autant de niveaux de lecture qu’il y a de rapports à la foi chez chacun de nous. Il est possible de recevoir son œuvre d’une simple écoute. Sa beauté naturelle et son équilibre parfait suffisent à nous apaiser. Mais cette musique peut-être aussi une invitation à renouveler notre foi intérieure.

 

Chez Bach, l’écriture d’une phrase musicale n’est jamais le hasard d’une inspiration fortuite, mais une façon de parler de Dieu.

 

Il utilise à cet effet de nombreux moyens pour symboliser des éléments de la foi chrétienne, je vous en donne deux exemples : la Croix représentée par une formule musicale comme Mi-do-fa-mi ; sur une partition si l’on relie d’un trait mi-mi et do-fa, on voit se former une croix, ce figuralisme est omniprésent dans le choral Da Jesus an dem Kreuze stund (BWV 621) ou Christ lag in Todesbanden (BWV 625). L’expression de la douleur ou du péché est formulée par le mouvement de deux notes conjointes descendantes liées par deux comme dans le choral O Lamm Gottes, unschuldig (BWV 618). Je pourrais continuer à lister les nombreuses formules symboliques qui jalonnent son œuvre. Mais ce qui est fascinant, c’est que ce n’est en rien une contrainte compositionnelle ni un frein à son imagination, mais bel et bien la source de son écriture.

 

Nous pourrions aussi évoquer la numérologie, principe utilisé par de nombreux compositeurs de l’époque baroque. Ainsi, le chiffre 1 représente Dieu, 3 la Trinité, 12 les apôtres… Chez Bach, cela prend des proportions hors-normes. Un exemple, inconsciemment ou délibérément, Bach attend le troisième volume de son KlavierÜbung (exercice pour clavier, appellation bien modeste au regard des chefs d’œu-vre publiés) pour éditer sa « messe pour orgue », sans doute pour évoquer la Trinité. Ce recueil commence d’ailleurs par le célèbre prélude en Mi bémol Majeur BWV 552 (Mi est la troisième note du clavier et cette tonalité comporte trois bémols). Ce prélude fait entendre trois éléments thématiques que nous pourrions définir comme les trois constitutifs de la Trinité : le Père, par le caractère solennel d’une ouverture à la française ; le Fils par un langage musical épousant davantage le style galant (style de transition entre le style baroque et le style classique), qu’utiliseront notamment les fils de Bach, et l’Esprit Saint caractérisé par ces gammes ascendantes et descendantes. La fugue qui vient conclure ce recueil est quant à elle une triple fugue. Ces deux mouvements sont au commencement et à la fin d’un parcours catéchétique où chaque choral est proposé dans deux versions ; l’une simple seulement au clavier et la deuxième plus développée avec pédale.

 

Il y a chez Bach, le souci constant du père et du pédagogue, celui de transmettre et de nous accompagner dans notre quête d’approfondissement spirituel.

 

Thomas Ospital, organiste titulaire du grand orgue de Saint-Eustache