Gn 12, 1-9 / Ps 32 (33) / Mt 7, 1-5
Puisque anniversaire il y a, peut-être que je peux vous partager deux paroles qui m’ont accompagné depuis que j’ai commencé à faire ce chemin, en ce qui me concerne, sur les pas de saint Dominique.
Je me rappelle d’abord une parole que nous avait dite notre Père Maître lorsque nous nous préparions à recevoir l’habit dominicain. C’était en septembre 1984 — après Jésus Christ je précise — et le Père Maître nous avait fait cette injonction, en citant l’Évangile selon saint Luc au chapitre 8 : « Prenez garde à la manière dont vous écoutez. » Et il parlait à des gens qui se destinaient à devenir des prêcheurs, des gens, quand on pense à eux spontanément on pense à des parleurs, des gens qui parlent. Non ! il fallait d’abord commencer par écouter. Et j’ai pu prendre la mesure de la pertinence de ce conseil lorsque, ensuite, j’ai commencé à pratiquer cette chose qu’on appelle la lectio divina. Un exercice qui maintenant a commencé de se répandre pas mal. Au vrai, cela consiste à entrer en dialogue avec l’Écriture. Au début, on n’y comprend rien, ensuite on se trompe beaucoup, on s’égare, on se perd, on se décourage, on y revient quand même et finalement, petit à petit, à force d’une certaine patience et persévérance, on finit par comprendre un peu quelque chose, tout en comprenant qu’on ne comprendra jamais tout, tout à
fait complètement.
Ce travail de lecture, c’est un travail de lecture/écoute.
Il y a cette autre dimension que nous pratiquons tous et toutes, qui est l’écoute du frère ou de la sœur. Car le Seigneur parle dans les saintes Écritures, c’est le liber scripturarum, il parle dans la nature, on le dit souvent, liber naturae. Mais il parle aussi dans les frères et sœurs, il parle aussi par nos semblables. Tout ce qu’ils disent peut nous dire quelque chose du Mystère de Dieu, à condition, bien sûr, que nous soyons assez disponibles pour le recevoir.
Il y a une deuxième parole qui m’a beaucoup accompagné. Celle-là, elle venait d’un prédicateur assez connu, le Père Jean Lafrance, qui devait être un prêtre du diocèse de Paris, qui est mort aujourd’hui. Un très grand prédicateur qui connaissait notamment très très bien les saints du carmel — Thérèse de Lisieux évidemment, mais aussi Élisabeth de la Trinité — et il nous avait prêché — là j’étais au séminaire à Paray-le-Monial — il avait prêché une retraite au début de l’année. Il avait été excellent ! Et voilà qu’on le fait revenir à la fin de l’année. Pour un prédicateur, ça, c’est un piège. Quand tu as été bon une fois, ce n’est jamais très sûr que tu seras aussi bon la deuxième fois… Et en fait, si ! il avait été absolument remarquable. Et nous parlant de la petite Thérèse, il avait dit cette chose, il l’avait citée, il disait : « Il faut choisir la miséricorde. Quand on choisit la miséricorde, on choisit tout. » — choisir la miséricorde. Et c’est un des mots majeurs de notre tradition dominicaine : « Mon Dieu, ma Miséricorde, aies pitié de ton peuple. Que vont devenir les pécheurs ? » Et Dominique était un homme de miséricorde, c’est-à-dire de bonté. On dit joliment de lui : « Comme il aimait tout le monde, tout le monde l’aimait. » C’est magnifique !
Et cela que nous retrouvons un peu ce qui nous est dit aujourd’hui. Je m’arrête simplement à l’Évangile selon saint Matthieu, sans repartir de l’épopée d’Abraham, qui nous dit quand même qu’il n’y a pas d’âge pour prendre le départ ou pour reprendre le départ si tant est qu’on se soit arrêté en cours de route.
Ce que le Seigneur nous dit, c’est justement qu’il nous faut nous exercer à la miséricorde. En retenant ce à quoi nous sommes si prompts : le jugement. Non pas le jugement-discernement qui lui, est utile. Avoir les yeux ouverts, être lucide, savoir nommer un chat « un chat », le bien « bien », le mal « mal », l’amour « amour », la haine « haine ». Ça, il faut être constamment en travail pour regarder les choses comme elles sont et ne pas trop se raconter de bobards. Mais ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est le regard qui cristallise, qui fige ; c’est le regard qui préempte la vérité de l’autre. Le vrai, c’est que nous ne savons jamais les combats que les uns et les autres nous menons, et comme nous sommes tous sur un chemin d’humanisation sur lequel, plaise au ciel, l’Évangile peut nous être en aide, eh bien, ce que nous pouvons nous apporter les uns aux autres, c’est cette écoute dont je parlais, mais aussi ce regard attentif, un regard qui regarde vraiment, mais qui sait aussi faire montre de discrétion, tout simplement pour faire droit au
mystère du frère, ou au mystère de la sœur.
Ce que nous partageons le plus certainement en commun, c’est d’être pécheurs. Nous sommes tous pécheurs. C’est une phrase que disait assez souvent, en tout cas je l’ai perçu comme ça, le cardinal Lustiger. Nous sommes tous pécheurs, c’est-à-dire que nous sommes tous dans le même bateau. Mais surtout, nous sommes tous des pécheurs graciés. Le pardon nous est acquis si nous souhaitons l’accueillir mais, tout le travail reste à faire ensuite c’est-à-dire que, une fois que les obstacles du péché sont levés, il nous reste encore à nous gagner à l’amitié de Dieu.
Alors ce soir, en recevant cette page d’évangile qui est passablement forte, demandons au Seigneur la grâce d’une écoute, d’un cœur disponible ; demandons-lui aussi les uns pour les autres la grâce d’un regard clarifié, purifié par la lumière de l’Évangile.
AMEN