Ac 2, 1-11 / Ps 103 (104) / Rm 8, 8-17 / Jn 14, 15-16.23b-26

Quelques mots, frères et sœurs, en écho à ce que nous venons d’entendre. Quelques mots brefs. Tout d’abord, peut-être, pour essayer de cerner ce qui est au cœur de la célébration de la Pentecôte, nous pouvons repenser à deux mots que le pape Jean Paul avait utilisés lorsqu’il avait écrit une encyclique sur le Saint Esprit spécifiquement, ce que personne avant lui n’avait fait de manière expresse. En fait, il avait repris ce que nous confessons dans le credo et il avait intitulé son encyclique : Dominum et vivificantem (il est Seigneur et il donne la vie).

Vous savez que l’on fête cette année un centenaire important avec l’anniversaire du concile de Nicée en 325 et Dieu sait que, au début de l’ère chrétienne — pas immédiatement, mais deux trois siècles après les premiers débuts — les chrétiens se sont pas mal employés à essayer de situer de manière adéquate le Fils par rapport au Père. On ne va pas rentrer dans ces discussions — au propre et au figuré — passablement byzantines mais enfin, il se trouve que pendant quelques décennies on s’est beaucoup battus et ce n’est pas ici une image, c’est vrai que les gens se sont pas mal écharpés. Finalement, ils ont réussi à se mettre d’accord pour dire que, du Père et du Fils, on ne peut pas tout à fait dire que c’est tout un, mais il ne s’en faudrait pas de beaucoup. En tout cas le Père et le Fils sont des égaux.

Et voilà que, quelques années plus tard, on a remis le couvert pour l’Esprit Saint. La question était : Comment situer l’Esprit Saint (par rapport au Père et au Fils) ? Personne n’avait envie de recommencer les batailles traversées pour aboutir à ce fameux « consubstantiel » que l’on a retrouvé dans la traduction revue récemment de notre credo. On a donc choisi un autre mot, en grec “sundoxazein” : « il reçoit même adoration et même gloire ». Ainsi : le Père est Seigneur, le Fils est Seigneur, l’Esprit est Seigneur ; le Père est Dieu, le Fils est Dieu et l’Esprit Saint est Dieu : communion divine. L’unité divine, pour nous, elle est communion, unité de communion et non pas communion de solitudes ; unité de communion et non pas communion ou fédération de solitudes. L’Esprit Saint est donc Seigneur. Lorsque nous l’invoquons, nous n’invoquons pas autre chose qu’une réalité qui est proprement le Dieu auquel nous nous adressons.

Il y a aussi ce deuxième mot : « il donne la vie » — « Il donne la vie ». C’est certainement cela qu’il faut garder, tant cette qualification de l’Esprit Saint vivifiant correspond à toute la dynamique de l’Évangile. Je l’ai rappelé souvent ces derniers temps ici, en méditant sur le Temps pascal et en évoquant la dynamique, par exemple, de l’Évangile de Jean lui qui, au début de son évangile, nous dit que : « la vie était la lumière du monde » et qui, à la fin de son évangile, dit également que : « tout ce qui a été écrit dans cet évangile l’a été pour que nous croyions que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que nous ayons la vie en son nom. »

Je ne sais pas si habituellement les gens associent spontanément la religion à un mystère de vie, à un mystère de vivacité, à un mystère de luxuriance. On l’assimile plutôt à de l’ascèse, à des obligations, à des interdits et quelquefois je me pose vraiment la question : « mais … et la vie, là-dedans ? » Alors qu’il n’est question que de cela. On pourrait même remonter jusqu’à la fin du Deutéronome (30, 15) où vous vous souvenez de cette alternative que le Seigneur met devant son peuple : « Voici je mets devant toi aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur. Choisis donc la vie ! » Choisis donc la vie !

Il y a encore peut-être deux mots qui peuvent fixer les idées lorsqu’on médite sur l’Esprit Saint. Ces deux mots sont utilisés surtout en liturgie, mais il me semble qu’il vaut la peine de les repérer pour pouvoir les méditer un peu et les explorer. Le premier mot c’est « anamnèse », le contraire de « amnésie ». L’anamnèse, c’est la mémoire, c’est le souvenir. Et le deuxième, c’est « épiclèse » : l’appel de l’Esprit. Ce que nous faisons par exemple lorsque, tout à l’heure, dans la prière eucharistique vous prierez avec moi lorsque j’étendrai les mains sur les oblats et que je
dirai : « Sanctifie ces offrandes pour qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang du Christ. » Et lorsque nous prendrons le corps et le sang du Christ, nous-mêmes nous serons sanctifiés, nous serons associés au Seigneur Jésus pour faire, en lui et avec lui, un seul corps.

Vous avez entendu ce que disait le Seigneur : « L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » « Il vous fera souvenir » : anamnèse, mémoire, mémoire vivante mais aussi mémoire au présent. Pas simplement souvenir de choses purement et simplement passées non ! souvenir de choses passées qui sont des semences pour la vie aujourd’hui. Et l’Esprit, qu’est-ce qu’il nous dit ? Il nous dit ce que peut signifier pour nous, ici, aujourd’hui, ce que le Seigneur a dit pour nous, ce que le Seigneur nous a dit, ce que le Seigneur a fait pour nous, tout au long de sa vie et singulièrement dans son Mystère pascal.

Il est Seigneur, il donne la vie ; il est notre mémoire, il est aussi notre intelligence, il est notre vigilance, il est notre désir d’entrer dans le Mystère de Dieu. Il y a une chose qu’il ne faut pas rater. C’est ce que saint Paul disait dans l’épître aux Romains. Il y avait fait tellement de choses qu’on ne peut pas tout dire, mais en tout cas, il y a cette attestation qui semble aux yeux de saint Paul si fondamentale : « C’est l’Esprit qui nous atteste que nous sommes enfants de Dieu. » Et je vous ai parfois parlé de la sœur Marie de la Trinité, une dominicaine des campagnes, mystique, qui a beaucoup médité dans sa vie sur nombre de choses et notamment, sur le mystère de notre adoption filiale. Une fois que l’Esprit nous est donné pour le pardon des péchés, c’est un obstacle qui est levé au développement de notre vie, mais tout reste à faire, car nous ne sommes jamais assez « enfants de Dieu ». Nous n’y pensons même peut-être pas suffisamment, or c’est ça qui est le plus important ! Tout à l’heure, juste avant la communion — et cela doit bien signifier quelque chose — nous allons redire la prière reçue du Sauveur : « Comme nous l’avons appris du Sauveur et selon son commandement — dans l’Esprit Saint bien sûr — nous disons le Notre Père. »

Quelque chose ne laisse d’être impressionnant quand on lit le passage des Actes et je conclus là-dessus. Il y a tous ces gens qui sont là et qui entendent les apôtres parler. Jusqu’alors, ils étaient tétanisés, ils n’osaient pas sortir, mal leur en eût pris sans doute ! À présent, ils sont complètement désinhibés par l’Esprit et on nous décrit la population qui est là, tellement variée : « Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

Quelle diversité ! Quelle variété ! Et chacun, chacune, est rejoint ! Et ce n’est pas simplement une question d’idiome, c’est une question d’affinité beaucoup plus profonde avec l’Esprit qui peut rejoindre chacun, chacune d’entre nous dans tout ce qui le constitue, dans toutes les strates de son être, dans toutes ses équations quelles qu’elles soient.
Je vous le disais, hier soir, j’étais à Saint-Sulpice pour les confirmations. 400 confirmands à 16 h, et autant le soir à 21h. 800 personnes qui ont reçu ce sacrement. J’ai eu tout le loisir de regarder la procession de ces 400 personnes. Et il y avait quelque chose de très remarquable, c’était la variété des profils qu’on voyait passer : toutes sortes de gens, et j’avais en tête cette foule bigarrée à Jérusalem qui écoute les apôtres et qui reçoit, au sens fort, l’Évangile : qui l’entend et qui ensuite l’accueille et se met en chemin pour l’accueillir toujours davantage.

Alors le mot de la fin c’est celui-ci. Nous venons de passer quatre-vingt-dix jours à nous préparer au Mystère pascal, à célébrer le Mystère pascal, à explorer et à célébrer encore et encore le Mystère pascal, nous allons revenir à ce que l’on appelle « le Temps de l’Église », le Temps en vert, même si quelques fêtes à venir : la Trinité, le Saint Sacrement, le Sacré-Cœur, nous donneront de rester encore un peu dans un climat de fête. Mais retournons à notre ordinaire,
forts de ces quatre-vingt-dix jours passés à contempler le Mystère et à nous en nourrir. Invoquons sur nous l’Esprit pour que nous sachions habiter l’ordinaire de nos jours en y cherchant inlassablement l’extraordinaire de la grâce de Dieu, qui peut toujours nous accompagner que ce soit dans la joie, que ce soit dans la difficulté, que ce soit dans les larmes. Chacun d’entre nous sait ce qu’il ou elle traverse et nous ne savons jamais les combats que traversent les uns et les autres, nous ne pouvons que nous accompagner avec respect, bienveillance et amour, toutes choses qui sont des fruits de l’Esprit.

AMEN