1 S 1, 20-22.24-28 / Ps 83 (84) / 1 Jn 3, 1-2.21-24 / Lc 2, 41-52
Frères et sœurs, deux trois choses en commençant, parce qu’il me semble important de les rappeler. La première, c’est ce que je disais au commencement de la messe, ce week-end comme tous les week-ends nous célébrons la Résurrection du Seigneur : sa Passion, sa mort et sa résurrection. Et il faut toujours se souvenir que, dans notre calendrier liturgique, le jour le plus important, c’est le dimanche, c’est « le jour du Seigneur » (dies dominica). C’est le jour où on célèbre le repas du Seigneur (Kyriake deipnon – le repas du Seigneur). C’est le jour tout particulier où nous disons ensemble, juste avant de communier, la « prière du Seigneur » : le Notre Père, la prière des enfants de Dieu. Donc dimanche. Dimanche : mémoire cultivée de résurrection ; dimanche, mémoire du don que Jésus nous fait de lui, nous fait de sa vie, pour qu’en lui, nous ayons une plénitude de vie.
Deuxième trait, aussi important me semble-t-il. Vous savez que chaque jour vraiment important de l’année pour nous — que ce soit le jour de Noël ou que ce soit le jour de Pâques — se déploie pendant une semaine. C’est ce qu’on appelle « des octaves » : un jour qui dure huit jours. Un jour pendant lequel on demeure dans la fête que l’on a célébrée pour lui donner le maximum d’écho possible. En effet : qu’est-ce que l’on dit lorsque l’on dit — et on l’a lu l’autre jour, le matin de Noël — qu’est-ce que l’on dit lorsque l’on dit que : « le Verbe s’est fait chair » ? Qu’est-ce que l’on dit lorsque l’on dit que : l’Éternel est entré en composition avec le temps ? Que l’Immortel a consenti à épouser notre mortalité ? Justement pour la vaincre, pour nous dire qu’il y a un au-delà à cela, et que la vie — la vie qui nous est donnée dès notre conception et notre naissance —
elle a aussi une portée d’infini ? Et comme j’aime souvent à le dire, que cette portée d’infini c’est un infini d’aimer…
Si, à présent, on repense à Pâques, qu’est-ce que cela pourrait bien signifier qu’un Dieu qui se fait homme (ça, c’est encore Noël) finalement va arpenter la Palestine pendant trois ans pour passer ces jours de Jérusalem où il va connaître l’humiliation, la souffrance, la déréliction, l’abandon total, la trahison et finalement la mort et — au-delà de la mort — la résurrection, le relèvement d’entre les morts, avant que de monter aux cieux ?
Ainsi, demeurer dans ce qui nous est dit pour l’interroger. Non pas recevoir benoîtement de belles expressions de foi, si vraies soient-elles, mais les interroger, les creuser, les laisser nous pénétrer, les laisser nous offrir toute la lumière et toute la force qu’elles peuvent nous donner.
Et donc nous, nous sommes dans cet octave de Noël qui s’achèvera mercredi, 1er janvier, avec la célébration de la grande fête de « Sainte Marie Mère de Dieu », Mère du Verbe fait chair, et c’est sans doute là son titre le plus important. Marie, elle est la Mère du Seigneur, tout comme elle est aussi sa plus grande disciple.
En même temps, dans cet octave, c’est intéressant — je ne sais pas si vous avez regardé un peu l’agenda de l’octave : le 26, le lendemain de la naissance du Seigneur, déjà, on fête saint Étienne, saint Stéphane, le couronné, le protomartyr. Le 27, c’est plus doux, on fête l’Apôtre évangéliste Jean, celui que nous lirons beaucoup pendant le Temps de Noël. Et le 28, c’est aujourd’hui, nous avons encore une fête, assez austère, puisque c’est la fête des Saints-Innocents. Et avec cette fête des Saints-Innocents, nous avons la mémoire du premier exode de Jésus qui doit, pour fuir le tyran, s’échapper en Égypte pour pouvoir en revenir : « D’Égypte, j’ai appelé mon fils. » Et ce jour du 28, nous pourrions peut-être le garder particulièrement en mémoire, car des Hérode apeurés de perdre leur trône, des tueurs d’enfants, jusqu’à aujourd’hui, il n’y en a que trop ! On songe à toutes les guerres que nous déplorons en ce moment, en Ukraine, en Terre Sainte, dans tellement d’endroits ailleurs. On pense à tellement d’endroits aussi où la vie est si difficile que les enfants ont du mal à vivre et à survivre. Vous vous souvenez peut-être de cette chanson d’un certain Enrico Macias : « Malheur à celui qui blesse un enfant ! » Et c’est ce qui nous frappe le plus lorsque nous voyons ces innocents, ces vulnérables — au nombre desquels Jésus s’est mis — pâtir, souffrir la violence qu’on leur fait et finalement mourir aux mains de gens dont on se demande exactement quelle idée ils se font de leur humanité, quelle idée ils se font de leur responsabilité d’êtres humains, à l’égard d’autres êtres humains. Juste quelques rappels qui peuvent peut-être nous donner à penser, et aussi nous donner à prier.
Et enfin, quelques mots en écho à ce qu’on nous venons d’entendre. Et d’abord, je ne peux pas résister, c’est un des beaux passages de l’œuvre de Jean. En l’occurrence, ici, dans sa première épître. Et il y a dans ce passage — c’est pour ça que je m’y arrête — un verset qui m’a toujours paru être extrêmement consolant. Nous avons ici cette parole du Seigneur : « Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas, nous avons de l’assurance devant Dieu. Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux. » Et dans un autre passage, le même saint Jean (c’est juste à côté), le même saint Jean dit que même si notre cœur venait à nous accuser, même si devant le Seigneur on n’était pas tranquille de ce qu’on a pu faire, eh bien : « nous avons un défenseur devant le Seigneur » et saint Jean d’ajouter « et Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses. » Cela, c’est le Seigneur qui nous l’a appris, c’est ce que saint Jean en a retenu et c’est ce que saint Jean a voulu nous faire passer comme message avec ce leitmotiv de son œuvre : une invitation récurrente, entêtée, qu’il fait très souvent : « Aimez-vous les uns les autres », et avec ce codicille : « Celui qui aime, est né de Dieu et connaît Dieu », tandis que « celui ou celle qui n’aime pas demeure étranger au Mystère de Dieu ».
Ce dimanche aussi, le premier dimanche qui suit la Nativité c’est, comme je vous le disais tout à l’heure, le « dimanche de la Sainte Famille » de Jésus, Marie et joseph. Qu’est-ce que l’on peut bien faire de cela ? Peut-être qu’on peut regarder la Sainte Famille comme une image pieuse, quelque chose qui serait édifiant, et dans la première prière que vous avez entendue, avec vous j’ai demandé : « la grâce de pratiquer comme la Sainte Famille les vertus familiales. » Il me semble que, quand on regarde la Sainte Famille, mieux vaut y voir une icône. Car enfin, cette famille, elle est très très singulière ! Et même avec les critères catholiques d’aujourd’hui, une
famille, c’est plus qu’un enfant, c’est trois, quatre, cinq, six ou sept. Ce serait plutôt ça. Et là, nous avons cette famille tellement singulière qu’elle ne peut se comparer à aucune autre : l’enfant, il est tellement singulier ! Il est né « non pas d’un vouloir de chair ni d’un vouloir d’homme », mais nous disons qu’« il est né de Dieu » et c’est saint Jean qui dit ça aussi. Marie. Marie, celle qui a été choisie dès le début de sa conception pour se préparer à cette mission d’être la mère du Sauveur. Et Joseph, Joseph qui va très très vite sortir du tableau, et qui est choisi pour être, comme disait joliment et justement le pape Jean-Paul II : « le gardien du Rédempteur ».
Il me semble que cette famille, c’est quand même une cellule et une cellule qui vit de quelque chose qui peut pour le coup nous parler : une communion. Il y a quelque chose qui est très frappant et qui relie vraiment ces trois-là. Le dessein du Seigneur, c’est de les mettre ensemble, de les faire cheminer ensemble. Saint Joseph, je vous le disais, disparaît assez tôt du tableau, et quant à Jésus et Marie, ils cheminent ensemble. Songez à Marie, elle avait fait des plans avec Joseph, elle menait sa vie dans sa maison, dans son lieu, à Nazareth, elle demandait rien à personne … Et voilà que l’ange Gabriel vient avec un message qui n’est pas si clair que ça, et
sollicite son consentement pour qu’elle accueille dans sa chair le Messie que tout le monde attend et qui va en effet venir. Même chose pour l’annonciation faite à Joseph. Joseph avait des plans avec la Vierge Marie, il comptait se marier, s’établir… et voilà que l’Éternel vient avec ses plans à lui. Et là, je ne viens de parler que de Marie et de Joseph.
Mais pour Jésus ? Jésus, même chose ! Jésus le dira si souvent : il est venu pour faire non pas sa volonté mais la volonté de son Père, il est venu pour consonner à une volonté d’amour de son Père qui veut « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » La connaissance de la vérité de Dieu : l’amour ; la connaissance de la vérité de notre vie : l’amour ; la connaissance de ce qui doit régir nos relations entre nous : l’amour. Une communion d’amour. Ça, Jésus, Marie et Joseph l’ont éminemment en commun. Les trois — chacun à sa manière, chacun à sa place — les trois ont répondu à l’appel du Seigneur de faire route ensemble, pour que puisse être manifesté cet amour de Dieu que nous célébrons ces jours-ci. Ces jours-ci, nous célébrons les premiers moments de la manifestation de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus, avec sa Nativité, son Épiphanie bientôt, son Baptême après. Manifestation : donner à voir, donner à entendre, donner à comprendre, non seulement le Mystère de ce Dieu qui aime, mais le Mystère de ce Dieu qui est amour. Encore saint Jean, dans ses épîtres « Ô Theos estin apapè » … « Dieu est amour ».
Si nous voulons emboîter le pas à la Sainte Famille, et je conclurai là-dessus, il me semble que ce qu’il nous faut faire de manière continue, de manière assidue, de manière fidèle, c’est vraiment mettre nos pas dans ceux du Seigneur Jésus, et cultiver par-devers nous ces dispositions qui étaient celles de Marie, de Joseph et de Jésus : disposition d’écoute, disposition d’accueil de la Parole du Seigneur, disposition d’accueil de son appel à aimer et à nous mettre en route à sa suite.
On nous dit qu’après avoir fait sa fugue à Jérusalem — c’était quand même de cela qu’il s’agit —, finalement Jésus est rentré gentiment à la maison et il a grandi en taille, en sagesse, en grâce et aussi, apparemment, en obéissance : « Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. » « Obéissance », peut-être un mot qui sonne un peu faux à nos oreilles. Quelquefois on n’aime pas tellement obéir. On n’aime pas tellement être commandés. Et pourtant, c’est un mot qui est assez beau. En latin obaudire ça veut dire « écouter jusqu’au bout », accueillir une parole et en suivre la logique. Nous, la Parole que nous recevons, ce n’est
pas exactement une parole, c’est cet enfant qui est « le Verbe fair chair ». Et la logique que nous allons voir à l’œuvre dans toute sa vie, c’est uniquement une logique de bonté, de générosité, d’accueil, de communion, d’amour.
Et la logique que nous pouvons — c’est à nous de le faire, et si on ne le fait pas, personne ne le fera à notre place — que nous pouvons aussi imprégner à nos existences, c’est cette même logique. Vous vous souvenez de la grande prière du Seigneur. Là, c’est un enfant, mais quand il sera tout près de sa passion, quelle sera sa prière ? La plus instante, au moment le plus imminent de sa vie, ce sera « Père, que tous soient un ! ». C’est-à-dire qu’ils ne renoncent jamais à trouver des chemins de communion, à se reconnaître frères et sœurs les uns les autres. Pas simplement le troupeau des croyants, mais la vaste famille humaine qui a vocation à vivre une communion, comme le Mystère de Dieu se révèle à nous comme communion.
En célébrant ce dimanche, en faisant mémoire des Saints Innocents, en pensant à la Sainte Famille, à la Sainte communion, à ce trio dont nous faisons mémoire aujourd’hui, demandons au Seigneur, nous aussi, d’être en chemin, à l’écoute de sa Parole, une écoute accueillante, une écoute questionnante, une écoute cordiale, pour que son amour — son amour — s’enracine en nous et que nous puissions le partager généreusement.
AMEN