5e Dimanche de Pâques (C), 18 mai 2025
Ac 14, 21b-27 / Ps 144 (145) / Ap 21, 1-5a / Jn 13, 31-33a.34-35
(…) Nous continuons notre chemin de Pâques et je vous partage une réflexion que je me fais assez souvent : alors que le carême est un temps où on se mobilise assez facilement — le carême c’est un temps où on prend des décisions, des résolutions —, le Temps de Pâques, lui, souvent, tout se passe comme s’il nous échappait quelque peu, comme s’il n’avait pas la même densité. On se mobilise beaucoup pour « monter vers Jérusalem », pour faire la montée du carême, et une fois qu’on arrive au jour de Pâques, c’est un peu comme si les choses nous échappaient. Peut-être parce que — on l’a déjà souvent dit —, parce que ce Mystère pascal, pour une grande partie, est difficilement saisissable.
Lorsque l’on suit le Seigneur jusqu’à Jérusalem pour le voir y vivre sa Passion, on comprend qu’il y a là un moment important : une rencontre entre l’Innocent et toutes les puissances de ce monde qui ne sont pas particulièrement bienveillantes, qui ne sont pas particulièrement accueillantes, qui peuvent se révéler parfois aussi franchement malveillantes et même tueuses.
On a ce moment où le Seigneur pourtant va faire assaut de patience. De patience. Il est beau ce mot. Quand on utilise ce mot de « patience », le plus souvent on pense plutôt à de l’attente, alors que, tel que l’explique en tout cas quelqu’un comme saint Thomas d’Aquin, le mot de « patience » c’est l’art de pâtir, c’est-à-dire de se laisser traverser, travailler peut-être, par les événements, par ce qui nous échoit. Et le Seigneur en effet a vécu sa Passion — on se l’est redit souvent : il ne l’a pas subie —, il l’a pâtie de propos délibéré. Il ne s’est pas opposé à des logiques auxquelles il aurait pu s’opposer : logiques de mal, logiques de mort, logiques de méchanceté… Non ! il a accueilli tout cela avec cette force intérieure qui était la sienne, un acquiescement et un acquiescement, qui plus est, par amour. Et ça, on ne le redira jamais assez : c’est par amour que le Seigneur est mort, par amour pour nous, par amour pour toute l’humanité. C’est par cet amour, c’est en vertu de cet amour, qu’il nous a sauvés.
Ce n’est pas sa mort tout court qui nous sauve, c’est sa mort aimante et c’est aussi sa résurrection, inséparablement, dans la puissance du même Esprit d’amour. Et là, nous rencontrons ce qui est pour nous comme la mesure étalon de tout dans notre chemin de vie, notre chemin spirituel. Et vous avez entendu combien l’Apôtre évangéliste Jean y revient sans arrêt : l’amour, l’amour. L’amour, l’alpha et l’omega de toute notre religion, de toute notre foi, de toute notre démarche religieuse. L’âme de toute notre démarche religieuse aussi. Non seulement le premier commandement, mais celui qui donne leur couleur à tous les commandements que nous pouvons pratiquer. Et on se souvient de ce que saint Paul disait dans la célèbre hymne aux Corinthiens, au chapitre 13e : « Je peux bien faire tout ce que je veux, y compris mourir en martyr, mourir dans les flammes, parler toutes les langues de la terre… ». Le refrain revient implacable et récurrent : « Si je n’ai pas la charité cela ne sert à rien ! », cela est creux !
Alors frères et sœurs, ré-entendons saint Jean qui ne se lasse pas de dire à ses communautés : « Aimez-vous les uns les autres ». « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Et il y a aussi ce codicille qui ne peut que nous interpeler : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Et ce n’est pas un précepte d’entrer dans une démarche purement sentimentaliste ! Pas du tout ! Tant s’en faut ! Il s’agit pour nous d’accueillir, de reconnaître tous ces liens qui nous lient à la source qu’est le Dieu-communion-d’amour : Père, Fils et Esprit Saint ; ces liens qui nous relient entre nous, ces liens qui nous relient aussi à tous ceux et celles qui, avec nous, partagent la même humanité.
Il ne faut pas être grand clerc pour savoir que l’amour, le monde n’en a jamais assez. Il n’en n’a que trop peu. Allez savoir pourquoi ! C’est un grand mystère que celui là : comment se fait-il que des puissances négatives et néfastes si souvent semblent l’emporter ? Comment se fait-il que ceux et celles qui veulent vraiment vivre d’une démarche d’amour, de bienveillance, de bonté, de compréhension, d’accueil… comment se fait-il qu’il faille qu’ils fassent montre de tant et tant de patience et de persévérance ? Et pourtant, là est notre chemin, notre religion. Notre Seigneur nous dit : « Voilà le chemin sur lequel il faut marcher.»
Et lorsque nous lisons les Actes des Apôtres — ce que nous faisons beaucoup pendant ce Temps pascal —, nous voyons bien qu’il s’agit d’un carnet de voyage. D’étape en étape la Parole qui est partie de Jérusalem va se répandre. Et cette Parole, ce ne sont pas des multiplications de théories en tous genres, ce n’est pas déjà de la théologie ou du « prêt-à-penser » chrétien qui, en l’espèce, n’existe pas alors que l’aventure ne fait que commencer et que les mots de la foi se cherchent encore !
Cette Parole, il faut le redire encore, cette Parole, c’est évidemment l’Évangile que les Apôtres ont reçu du Seigneur, ce sont ses enseignements, probablement ses paraboles qu’il leur a livrées, mais surtout, à travers cette proclamation, cette Parole proclamée, c’est bien le Seigneur lui-même qui visite ceux et celles chez qui l’Évangile est proclamé.
Lorsqu’ils accueillent cet Évangile, qu’est-ce qu’ils reçoivent ? Qu’est-ce qu’ils reçoivent ? Ils reçoivent ce que vous entendrez tout à l’heure encore dans la préface : ils reçoivent cette puissance de résurrection que le Seigneur leur donne en partage ; ils reçoivent cette puissance de ne pas vivre dans la nostalgie, dans la vétusté, regardant toujours en arrière. Ils reçoivent cette puissance de vivre selon la nouveauté que le Seigneur veut pour chacun et chacune d’entre nous. Il ne veut pas nous laisser vieillir, il ne veut pas nous laisser nous flétrir, non ! il veut que, dès à présent, nous nous dilations, que le cœur qui est le nôtre nous garantisse cette jeunesse selon l’Esprit, cette vigueur selon l’Esprit qui est la vie des enfants de Dieu.
Vous l’avez entendu dans l’Apocalypse : on peut très bien prendre ce livre comme un livre indéchiffrable, un livre scellé, un livre à clés dont l’interprétation juste ne serait laissée qu’à quelques-uns. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. L’Apocalypse nous parle justement de cette puissance de nouveauté évoquée à l’instant et vous avez entendu ce verset, tout simple, où le Seigneur dit : « Ecce facto nova omnia » : « Voici, je fais toutes choses nouvelles ! »
La question qu’il faut se poser lorsque l’on est chrétien — qu’on essaye d’être disciples du Ressuscité, quand on vit ce qu’on a vécu tout à l’heure, l’aspersion — la question qu’il faut se poser c’est : quelle est ma disponibilité pour me laisser renouveler par le Seigneur dans toutes les dimensions de ma vie ? Quelle est ma disponibilité pour répondre sans arrêt aux appels de l’Évangile à vivre, à aller de l’avant, à accueillir, à marcher avec, à faire le bien, à servir ?
L’enjeu pour nous, c’est de nous gagner à ce qui nous à été donné et que nous avons amplement célébré à Pâques : nous gagner à la résurrection du Christ ou, plus précisément, nous gagner à la personne du Christ qui veut nous faire vivre de sa vie.
Demandons au Seigneur la grâce des nous ouvrir à lui, de lui ouvrir notre vie tout entière, de lui ouvrir tous les aspects, toutes les strates de notre vie, de lui offrir tout ce que nous sommes. En nous, comme dans toute la Création, il veut faire toutes choses nouvelles… sauf que ça ne se fera pas sans nous !
AMEN