Lorsque nous nous sommes installés, Chantal et moi, aux Halles, en 1978, il pleuvait dans Saint-Eustache. L’église des Halles n’avait alors rien à voir avec le magnifique vaisseau que nous connaissons aujourd’hui. C’était une grande église, noire et froide, en éternelles réparations, où le sacristain faisait la chasse aux pigeons et où l’orgue, en réfection, s’était tu depuis un an. (Il restera muet pendant encore dix ans). Une marée de panneaux isolait l’église du gigantesque chantier des Halles. Le fameux trou qui n’en finissait pas de s’agrandir l’encerclait presque totalement et menaçait ses fondations. Rien de beau donc dans ce monument venteux et inachevé que personne alors ne visitait.

Cela tombait bien car mon sens de la foi et de la vie chrétienne s’était forgé tard, loin de toute considération artistique ou même liturgique. Pour moi la foi se vit et s’éprouve en communauté, en amour réciproque, avant de se traduire en liturgie ou en art.

Or la communauté de Saint-Eustache était particulièrement riche de personnalités variées mais elle était comme en attente d’elle-même et des motifs de son rassemblement. Les prêtres oratoriens, juxtaposés les uns à côté des autres, déployaient leurs qualités diverses et variées sans l’ombre d’une quelconque harmonie ce qui était pour moi extrêmement déroutant mais non sans attrait. Entre les différents prêtres de l’Oratoire il n’y avait quasi rien de commun sinon une grande foi en l’homme, un travail continu de l’intelligence et la vision d’une Eglise ouverte sur le monde.

C’est cette ouverture, ce pari sur l’humain lié à cet étrange alliage de richesse et de disharmonie qui me rendit Saint-Eustache attachante. Les décennies qui suivirent furent, pour nous, riches en engagements divers au sein de la paroisse et pour elle. Baptêmes, accueil, catéchuménat, mariages, montage de conférences-débat, participation au conseil pastoral et paroissial, 400° anniversaire de l’Oratoire, groupes bibliques, animation du groupe de travail sur le synode de la famille et, surtout, amitiés nombreuses au fil des ans. L’expérience la plus riche et la plus vraie de Saint-Eustache se fit paradoxalement loin de Paris, en Israël, lors d’un fameux pèlerinage, en 2006. C’est à ce moment-là, pour moi, que la paroisse est devenue une vraie communauté. Il faut renouveler de temps en temps de tels moments, tout au moins offrir des occasions pour que la communauté se perçoive comme telle, éprouve sa solidité et sa richesse.

Curieusement le temps du premier confinement fut l’occasion d’éprouver la solidité de nos liens, notamment au sein des deux groupes bibliques de Saint-Eustache qui – mis au défi de résister à la distance – inventèrent tous les deux des moyens de faire de l’obstacle un tremplin au point de devenir de véritables creusets de vie. Et puis il y eut aussi le Conseil paroissial qui résista, et résiste encore, à la crise sanitaire en se réunissant par zoom : Cinq réunions en un an, même en temps normal on n’avait jamais vu cela !

 

Jean-Pierre Rosa