Une seule main, celle de Luc, a écrit une œuvre en deux volets. D’une part un Évangile, c’est à dire un écrit tout entier dédié à la personne même du Christ, à sa geste, ses paroles et ses actes. Il a cette particularité de s’être intéressé à tout : depuis les tout-premiers moments (récits d’enfance), jusqu’à la séparation d’avec ceux et celles qui l’avaient suivi dans son aventure, jusqu’à l’accomplissement (Passion, résurrection, ascension). Et il y a, d’autre part un autre écrit, étroitement articulé au premier : les Actes des Apôtres.

C’est ce second texte que nous lisons tout au long du temps pascal. On l’appelle parfois L’Évangile de l’Esprit. Tout se passe comme si on y voyait à l’œuvre ce qui est énoncé chez Jean : « Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26) ou encore, « …lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière » (16, 13). Cette « vérité » n’est autre que celle, inépuisable, du Christ lui-même et de l’œuvre de salut qu’il a entreprise par son entrée en humanité et la conversation qu’il a menée, au long cours, avec une humanité souvent à la peine avec ses aspirations contradictoires ou ses contreperformances apparemment invincibles… peut être même, à certaines heures, désespérantes !

Luc nous montre les débuts tâtonnants de la communauté des disciples, à présent livrée à elle-même sous la conduite de l’Esprit promis et donné. Cette communauté a à se découvrir elle-même comme le propre corps du Ressuscité. Un corps vivant et témoignant de Celui dont elle vit. Témoignant aussi de la brèche ouverte par la résurrection pour faire pièce à toute forme de désespérance devant la finitude de l’humaine existence.

Luc nous montre les apprentissages premiers de communauté chrétienne naissante pour être au diapason de la volonté de son Maître et Seigneur : Il a donné sa vie pour elle et pour l’humanité entière. Il a aussi (et Jean ne se lasse pas de le souligner) dit et répété que l’alpha et l’oméga de tout est bel et bien l’agapè. On désigne de ce mot l’amour et l’amour serviteur. Il est permis de repenser ici aux propos de Paul dans l’épître à Tite : La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes (…) Il (Jésus) s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien (2, 11-14).

Inépuisable… l’adjectif convient bien au mystère de la résurrection que nous célébrons tous ces jours-ci ! Luc aurait pu faire des variations à l’infini sur le fait prodigieux ou se perdre en spéculations sur l’inexplicable. Au lieu de cela, il nous met devant des apprentissages qui n’en finissent jamais : si la résurrection ouvre des perspectives à l’infini à notre méditation sur notre condition humaine, sans cesse confrontée à la mort, elle donne lieu aussi, dès ici et maintenant, à une manière d’habiter le monde.  Ainsi Luc dans les Actes s’attache à décrire une communauté fraternelle de partage, éprise de justice, ancrée dans la Parole de Dieu, fervente dans la prière… rien de tout cela n’allant de soi. Rien de tout cela n’étant non plus facultatif…

À l’heure où l’Église est en travail pour renouveler la crédibilité de son message et de sa vocation, l’urgence est claire : passer aux actes pour aimer et servir en vérité, en fidélité à « Celui qui nous a aimés et s’est livré pour nous ».

 

Père Gilles-Hervé Masson, vicaire à Saint-Eustache.