27 mars 2020 Méditations Saint Eustache12 Minutes

Chers frères et sœurs, chers amis,

Il n’est décidément pas ordinaire ce chemin de carême que nous faisons ! Il n’est même pas dit que nous parvenions facilement à demeurer dans une dynamique de carême c’est à dire une dynamique de préparation à la Pâque… Et pourtant, si les modalités de la Pâque 2020 seront très différentes de ce à quoi nous sommes habitués, de ce à quoi nous aspirions, le 12 avril n’en sera pas moins le jour où la proclamation de la Résurrection retentira. Mais, comme toujours, cette annonce pascale ne peut survenir qu’après qu’on a traversé le vendredi saint, jour de la mise à mort de l’Innocent, et le samedi saint, jour d’interminable silence où il est permis de penser qu’il se pourrait  bien que, finalement, ce soit mort qui ait gagné…

Ces temps-ci nous sommes déjà plongés dans un moment, un drame, comme celui dont nous parlera le vendredi saint : Jésus, dans son humanité va souffrir « passion et mort ». Et cela sans aucune raison autre que le propos qui est le sien de faire corps avec nous, avec notre humanité incertaine et vulnérable. À Jérusalem, le Seigneur va affronter pour nous et avec nous ce qui nous est le plus adverse : cette mort qui conteste notre désir de vivre, qui nous arrache à nous-mêmes et à ceux et celles que nous aimons. La pensée nous en étreint souvent déjà ces jours-ci : que de vendredis saints déjà vécus ces dernières semaines depuis les premières contaminations au Covid 19… Que de drames et de douleurs pâtis par tant de gens partout sur la planète. Que de samedis saints en cours… Faits d’incertitude, de peur, de grande solitude et de grand silence. 

Saint Jean, au seuil du chapitre 13 de son évangile, écrit ces mots : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, [Jésus] les aima jusqu’au bout », on dit aussi parfois « jusqu’à la fin ». Il faut sans doute entendre que le Seigneur a, en effet, aimé « les siens » (c’est à dire au vrai tous ses frères et sœurs en humanité) jusqu’à ce point de non retour qu’est la Croix. La Croix où meurt celui-là même qui avait dit que « nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis ». Et il donne sa vie effectivement, il la livre, il s’en dessaisit (« Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne »). Mais pour autant ce point de non retour n’est pas le point final : il y a – et c’est peut être une bonne manière d’exprimer le mystère de la Pâque – un au-delà au vendredi saint et au samedi saint. Cet au-delà c’est le matin de Pâque. C’est le matin de la mort traversée, de la nuit traversée.

Aussi bien, nous n’en sommes pas encore tout à fait là… mais sans attendre les jours de la sainte semaine où nous suivrons au pas à pas le Seigneur dans sa Passion, sa mort et sa résurrection, nous traversons déjà tous les vendredis saints et les samedis saints qui se jouent, au jour le jour, dans les hôpitaux et dans les vies de tous ceux et toutes celles qui sont frappés dans leur chair par la maladie ; dans les vies de tous ceux et toutes celles qui s’épuisent à combattre le fléau, à soulager leurs frères et sœurs, à affronter aussi – et c’est certainement très difficile – leur sentiment d’impuissance et à le surmonter pour soulager et soulager encore et encore… Sans parler de tous ceux et celles qui doivent se tenir à distance, séparés de leurs proches malades… séparés même jusqu’à l’ultime moment. 

Chaque vendredi de carême – comme nous le faisons encore aujourd’hui – nous posons le regard sur la Croix du Seigneur. Nous la contemplons avec compassion au vu de cet amour souffrant et brisé par la méchanceté et la bêtise des hommes. Nous la contemplons aussi avec l’étonnement sans cesse renouvelé que suscite cet amour qui va si loin « pour nous les hommes et pour notre salut » – en nous gardant bien de nous laisser aller à des considérations trop abstraites ou théoriques sur « le péché et le salut du monde » – car cet amour il est au plus près de nos existences vécues, pâties. La croix est pour notre consolation et notre affermissement lorsque l’adversité est trop lourde à affronter. 

Non pas arbre de mort mais arbre de vie : telle est pour nous la croix où Jésus de Nazareth se donne, librement et sans réserve, pour nous dire le prix qu’a l’humain aux yeux de Dieu. Et c’est de ce libre don que le Seigneur fait de lui-même que nous pouvons tirer force pour, à notre tour et chacun, chacune selon sa grâce,  servir l’humain avec amour, en fidélité à Celui, Jésus, qui a traversé la mort – et toute mort – pour qu’abonde la vie.

Nous nous apprêtons à célébrer bientôt ce que saint Jean appelle l’Heure de Jésus. Lorsque nous le ferons nous éprouverons peut être davantage qu’à l’ordinaire, à cause de tout ce que nous vivons en ce moment, combien cette Heure du Christ nous renvoie à toutes ces heures qui font la vie des uns et des autres, des unes et des autres. Une vie incertaine et fragile, vécue « à travers ombres et lumière » sur l’horizon – c’est notre foi pascale – du jour qui ne finit pas.

AMEN.

Lectures du jour : vendredi 27 mars 2020, 4ème Semaine de Carême 

« Condamnons le juste à une mort infâme »
Lecture du livre de la Sagesse 2, 1a.12-22

Les impies ne sont pas dans la vérité
lorsqu’ils raisonnent ainsi en eux-mêmes :
« Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie,
il s’oppose à nos entreprises,
il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu,
et nous accuse d’infidélités à notre éducation.
Il prétend posséder la connaissance de Dieu,
et se nomme lui-même enfant du Seigneur.
Il est un démenti pour nos idées,
sa seule présence nous pèse ;
car il mène une vie en dehors du commun,
sa conduite est étrange.
Il nous tient pour des gens douteux,
se détourne de nos chemins comme de la boue.
Il proclame heureux le sort final des justes
et se vante d’avoir Dieu pour père.
Voyons si ses paroles sont vraies,
regardons comment il en sortira.
Si le juste est fils de Dieu,
Dieu l’assistera, et l’arrachera aux mains de ses adversaires.
Soumettons-le à des outrages et à des tourments ;
nous saurons ce que vaut sa douceur,
nous éprouverons sa patience.
Condamnons-le à une mort infâme,
puisque, dit-il, quelqu’un interviendra pour lui. »

C’est ainsi que raisonnent ces gens-là, mais ils s’égarent ;
leur méchanceté les a rendus aveugles.
Ils ne connaissent pas les secrets de Dieu,
ils n’espèrent pas que la sainteté puisse être récompensée,
ils n’estiment pas qu’une âme irréprochable puisse être glorifiée.

Psaume 33 (34), 17-18, 19-20, 21.23

R/ Le Seigneur est proche du cœur brisé. (33, 19a)

Le Seigneur affronte les méchants
pour effacer de la terre leur mémoire.
Le Seigneur entend ceux qui l’appellent :
de toutes leurs angoisses, il les délivre.

Il est proche du cœur brisé,
il sauve l’esprit abattu.
Malheur sur malheur pour le juste,
mais le Seigneur chaque fois le délivre.

Il veille sur chacun de ses os :
pas un ne sera brisé.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge

« On cherchait à l’arrêter, mais son heure n’était pas encore venue » 
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 7, 1-2.10.14.25-30

En ce temps-là,
Jésus parcourait la Galilée :
il ne voulait pas parcourir la Judée
car les Juifs cherchaient à le tuer.
La fête juive des Tentes était proche.
Lorsque ses frères furent montés à Jérusalem
pour la fête,
il y monta lui aussi,
non pas ostensiblement, mais en secret.

On était déjà au milieu de la semaine de la fête
quand Jésus monta au Temple ; et là il enseignait.
Quelques habitants de Jérusalem disaient alors :
« N’est-ce pas celui qu’on cherche à tuer ?
Le voilà qui parle ouvertement,
et personne ne lui dit rien !
Nos chefs auraient-ils vraiment reconnu
que c’est lui le Christ ?
Mais lui, nous savons d’où il est.
Or, le Christ, quand il viendra,
personne ne saura d’où il est. »
Jésus, qui enseignait dans le Temple, s’écria :
« Vous me connaissez ?
Et vous savez d’où je suis ?
Je ne suis pas venu de moi-même :
mais il est véridique, Celui qui m’a envoyé,
lui que vous ne connaissez pas.
Moi, je le connais
parce que je viens d’auprès de lui,
et c’est lui qui m’a envoyé. »

On cherchait à l’arrêter,
mais personne ne mit la main sur lui
parce que son heure n’était pas encore venue.