150 ème anniversaire de la mort d’Alphonse Gratry (1805 – 1872) – 100 ème anniversaire des Oratoriens à Saint-Eustache

150 ème anniversaire de la mort d’Alphonse Gratry (1805 – 1872) – 100 ème anniversaire des Oratoriens à Saint-Eustache

« Je suis le serviteur de la Vérité seule. » Telle est l’épitaphe, au cimetière du Montparnasse, du R.P. Alphonse Gratry, de l’Oratoire. Grande figure de l’Eglise de France au XIXe siècle, à l’instar de Lacordaire, Lamennais, Montalembert, Ozanam ou Dupanloup ; il fut l’un des refondateurs de la congrégation de l’Oratoire en 1852.

Né à Lille, aux hasard des cantonnements d’un père militaire, il étudie à Tours puis à Paris. Il conserve de son jeune âge un regard empreint de cet esprit d’enfance cher aux grands spirituels français. « Il y a plus de philosophie dans la sagesse passive des petits enfants que dans les livres des philosophes », écrira-t-il. Nous le voyons évoluer dans un milieu qui aurait pu le prédisposer à l’athéisme de l’époque, ce « bagne matérialiste ». Brillant élève dans les disciplines dites littéraires il entre à l’Ecole Polytechnique après une seule année sérieuse (mais acharnée) de mathématiques. Non pour devenir ingénieur mais pour se donner des armes sérieuses afin de porter le fer dans l’orgueil scientiste du temps !

En rupture avec sa famille il prend les grades en théologie au séminaire de Strasbourg, auprès du fameux abbé Louis Bautain qui l’accompagne jusqu’à l’ordination. Sa force d’âme et ses qualités de professeur de rhétorique lui valent le poste de directeur du fameux collège parisien Stanislas à partir de 1840 , alors qu’il n’a que 35 ans. Sous son influence, cet établissement gagna un renom qu’il possède toujours. C’est là qu’Ernest Renan, à sa sortie du séminaire de Saint-Sulpice, voulut le rencontrer pour donner un cap à son drame intérieur, une issue à ses questions taraudantes. Il est possible que l’idée d’un nouvel Oratoire naisse à cette occasion : le Père Gratry sera tenaillé toute sa vie par l’insuffisance du dialogue entre la foi et la raison en cette époque postromantique où l’apologétique se nourrit davantage de Chateaubriand que de sciences positives.

Gratry écrit alors de nombreux livres, devient aumônier de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm (sa controverse avec le directeur Etienne Vacherot sur l’interprétation de la philosophie de Hegel est restée célèbre) puis aumônier du Sénat. Après Connaissance de Dieu puis Connaissance de l’âme son livre le plus célèbre demeure Les Sources : un panorama très stimulant des sciences, dures ou sociales, dans leur rapport avec la foi chrétienne.

Le politologue René Rémond peu de temps avant sa mort rappelait à quel point ce manuel d’intelligence chrétienne avait été lu et commenté jusqu’à une époque récente par les mouvements d’Action catholique. Comme une troisième voie entre modernisme et anti-modernisme. L’accueil a été quasi unanime dans le monde catholique qui, dans ses cercles dirigeants, politiques, intellectuels et journalistiques, était pourtant fort divisé. D’un bout à l’autre du spectre idéologique, de Madame Swetchine, l’égérie des catholiques libéraux, à Jules Barbey d’Aurevilly, le maître de Léon Bloy, il y eut autour de ces livres une sorte d’éblouissement collectif.

En 1852 c’est la refondation de l’Oratoire français avec le curé de Saint-Roch à Paris, l’abbé Philippe Pététot. C’est l’âge héroïque des Pereyve, Lescoeur, Charles et Adolphe Perraud (futur cardinal). Gratry rêve que les maisons oratoriennes soient autant d’« ateliers d’apologétique », comme un nouveau Port-Royal moins sévère où les liens du cœur et de l’esprit rayonneraient, attireraient. Ses prêches dans la chapelle de la rue du Regard sont suivis avec passion.

Puis c’est l’Académie française, où il obtient le 33e fauteuil (celui de Voltaire !) contre notamment Théophile Gautier. Lors d’un voyage à Rome il rencontre le futur cardinal Newman et tous les deux communient dans une même ferveur oratorienne. Jean Guitton écrira un beau livre sur cette rencontre au sommet.

Au moment du premier concile du Vatican le R. P. Gratry s’opposera au dogme de l’infaillibilité pontificale mais saura ensuite s’incliner, pour l’unité de l’Eglise. Il décède à Montreux en Suisse en 1872, après une douloureuse maladie, ses derniers mots seront : « Mon âme demeure dans l’Espérance.» Saluons la noblesse da sa vocation et la pertinence pour aujourd’hui de ses intuitions et de sa foi profonde, mystique et éprise de liberté.

                                                                                                                                                                                                   

Jérôme Prigent, Prêtre de l’Oratoire.

 

 



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