Trois lieux dans Saint-Eustache, quatre pantins et un titre mystérieux, « Cent sommeils », que l’on peut entendre autrement. L’œuvre de la nouvelle lauréate du Prix Rubis Mécénat, destiné aux jeunes artistes des Beaux-Arts de Paris, tranche avec celles des années passées. L’artiste, née en 1999, porte un regard très personnel sur des espaces et les décors de l’église, elle interpelle les visiteurs et ceux qui la font vivre. Avec leurs noms inhabituels, ces pantins montrent/démontent leur corps. Ces attitudes étranges dans différents espaces, attirent aussi notre attention sur les visiteurs, les autres, et in fine sur nous-mêmes.
Teintées d’ironie et de fantastique, entre marionnettes et simulacres d’identité, ces figures trouvent leur origine dans les murs de l’église, dans sa décoration qui semble s’y être imprimée (bras colonnes, feuille d’acanthe sur l’épaule).
Liselor Perez témoigne du nouvel univers de l’art : l’hybride, le figuratif, la performance, la sculpture, l’installation, l’artisanat ou le geste prosaïque et visible de la couture. Tout est entremêlé.
Entre êtres et objets, ces marionnettes, figures ou vecteurs, sont fréquentes dans l’art contemporain. Avec ses mises en scène, Liselor s’inscrit dans la continuité de grands artistes. Elle joue avec son public. Veut-elle déceler la vulnérabilité ou l’intimité du corps qui se laisse aller, le nôtre ? A-t-elle supprimé tout mot pour exposer une part de silence en nous ? « Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas » dit le psaume 113 en dénonçant les idoles.
La manière d’assembler des morceaux de tissu pour en faire une peau ouvre à la réflexion : le tissu, parfois brodé, est un art de la tradition juive où la couture visible réassemble des choses séparées, de l’ordre du soin, de la réparation, du renouveau de la création.
« J’interdirai tout sommeil à mes yeux et tout répit à mes paupières, avant d’avoir trouvé un lieu pour le Seigneur » dit le psaume 131 pour dire la passion pour la demeure du Seigneur, une tente en tissu. Une prière, une quête ou un acte sans fin du croyant. Une inspiration sans limite de l’artiste. Sans sommeil.
Michel Micheau, membre du Collège visuel de Saint-Eustache

Photo Cent sommeils, Liselor Perez, Beaux-Arts de Paris, courtesy Rubis Mécénat, église Saint-Eustache, 2025.Photo_Instant T Productions4