Comment est-on passé de natalis dies, le jour de la naissance, à Noël ? Les savants philologues savent y répondre, par lénition, affricatisation, amuïssement et assimilation, processus linguistique qui, au fil des siècles, a transformé un mot en un autre dans l’usage quotidien.
Comment est-on passé de la fête de la naissance de Jésus à une orgie commerciale bruyante et consumériste sans dimension religieuse ? On réduit, on modifie, on fait disparaître et on assimile. Au processus linguistique correspond aussi un processus social, et ce n’est pas très grave. Qu’un fait religieux devienne un fait de société rappelle à tous ceux qui voudraient reléguer la religion dans la sphère de l’intime et du privé que ce n’est pas possible. Un fait religieux devient toujours un fait social car l’Homme est structurellement un être social. Son impact est d’autant plus fort qu’il est massif et durable.
Comme chrétiens nous n’allons pas hurler à l’assimilation culturelle ou au blasphème : nous allons redonner du sens. A travers cette fête de la naissance, nous allons redonner du sens à l’accueil de l’autre qu’on ne laisse pas dormir dans une étable. Redonner du sens à l’engagement familial qui n’est pas un CDD de convenance mais une responsabilité onéreuse et fidèle au service de l’autre. Redonner du sens à l’incarnation de Dieu qui ne se paye pas de mots quand il nous dit qu’il nous aime mais s’incarne réellement, prenant chair de notre chair pour offrir cette chair sur le bois de la croix. Redonner du sens à une prière collective, liturgique et fidèle qui monte vers Dieu le Père pour recevoir, chacun, la grâce d’aimer comme le Christ aime. Redonner du sens au respect de la vie sous toutes ses formes, sur tous les continents. Redonner du sens à la liberté religieuse attaquée en tant de lieux et qui ne s’use que si on ne s’en sert pas.
Plus que jamais à notre époque, nous avons besoin de veilleurs attentifs qui ne se laissent pas glisser sémantiquement par lénition, amuïssement et assimilation. Les yeux ouverts, devant ce monde qui sombre, que nous prenons au sérieux et auquel nous proposons, et pour lequel nous vivons, la radicalité évangélique. Cette radicalité de l’Évangile est déjà entièrement présente dans la scène, la Cène, la saynète, de la crèche. Contemplons-la.
Père Pierre Vivarès, curé de Saint-Eustache
