Dt 30, 10-14 / Ps 18b (19) / Col 1, 15-20 / Lc 10, 25-37
Il y a des dimanches où, quand nous l’entendons, la Parole de Dieu — comme nous l’appelons — nous interpelle, nous provoque, nous met en cause, peut-être parfois nous résiste lorsque nous l’entendons comme une parole sévère, qui nous bouscule ou qui nous oblige à nous remettre en question. Et il me semble que, aujourd’hui, bien sûr, cette Parole que nous entendons elle garde toute sa vigueur, pour nous faire avancer et pour nous nourrir mais, aujourd’hui, de quelque manière, elle est finalement assez douce et nous rappelle à des essentiels pour notre vie.
Si vous prenez par exemple la première lecture, au livre du Deutéronome — c’est un des passages que je préfère, Deutéronome 30, à la fin de ce grand livre de la Torah — avec une invitation à être attentifs à la Parole, justement, et avec des indications qui sont précises et précieuses. Vous avez entendu ce qu’il est dit : « Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte », et plus loin « elle est tout près de toi cette parole, elle est dans ta bouche, elle est dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique. »
Nous voilà avertis que ce n’est pas la peine de nous donner des excuses pour mettre des distances et des distances entre nous et la Parole du Seigneur. Non ! elle nous est donnée, et ces quelques versets trouvent un écho très très direct dans le psaume premier : « Heureux est l’homme, celui-là qui ne va pas au conseil des méchants, qui ne siège pas avec les rieurs, mais se plaît dans la Loi du Seigneur, et murmure sa loi jour et nuit. » Se laisser raconter de l’intérieur l’Histoire sainte, revivre de l’intérieur et avec un souci d’intériorité et d’intelligence, ce que l’Écriture nous livre. Nous dire qu’elle n’est pas loin de nous mais qu’elle nous est donnée et qu’elle appelle notre hospitalité.
Et voilà encore qui nous rappelle quelque chose que nous devons toujours garder présent à l’esprit : si capables que nous soyons d’entrer dans des exégèses rabbiniques poussées ou bien dans des explications byzantines de l’Écriture ; si capables que nous soyons d’avoir des systèmes de pensée religieuse compliqués, très élaborés, très affinés… quelque part nous devons garder le contact avec cette simplicité originelle de la Parole de Dieu. Effectivement, quelquefois, elle nous résiste, simplement à fleur de texte elle n’est pas si facile que ça à comprendre — on va quand même pas se mentir —, mais néanmoins, il faut tenir pour vrai ce qui nous est dit : cette Parole, elle n’est pas inaccessible, elle demande parfois, oui ! qu’on creuse un peu, mais toujours, toujours, elle a quelque chose à donner et elle donne quelque chose.
Et toujours il faut revenir à cette source première de tous nos savoirs, de toutes nos méditations ultérieures, pour ne jamais se départir — le mot est très très important — de cette simplicité que le Seigneur veut pour nous. A fortiori, a fortiori si on parle d’Évangile, il est urgent de toujours se souvenir que l’Évangile est une parole pour les humbles. L’Évangile parle au cœur de tous, et lorsqu’on le complique ou lorsqu’on le rend inaccessible ou lorsqu’on le confisque, ce n’est plus l’Évangile, c’est une parole qui est détournée. Et détournée de son but qui est nous, notre cœur, notre intelligence et notre vie. Alors retenons ce qui nous est dit à la fin de ce livre du Deutéronome, pour nous rendre attentifs à la Parole que le Seigneur nous adresse.
En deuxième lecture, nous avons entendu un texte qui est une méditation magnifique de saint Paul aux Colossiens. C’est une hymne que l’on chante chaque semaine à l’office de vêpres. Chaque semaine, on redit ces mots qui fixent notre regard sur le Christ. On nous dit ici : « Image du Dieu invisible et premier-né de toute créature. » C’est comme si on entendait dans cette hymne, que vous pourrez relire, un écho du prologue de Jean ou un écho de l’incipit de l’épître aux Hébreux, où il est fait mention précisément de la création de toutes choses dans le Verbe, dans et par la quintessence de la Parole de Dieu. Une Parole d’ailleurs qui ne fait pas nombre avec Lui-même, car lorsque le Seigneur parle, ce n’est pas simplement pour nous dire des choses, c’est aussi pour se communiquer à nous, c’est aussi pour s’inviter dans nos existences, s’inviter dans nos vies.
Alors, nous contemplons le Seigneur Jésus et on pourrait presque dire tout y est, depuis la Création à l’origine de tout, jusqu’à la re-Création au moment de l’incarnation du Verbe, lorsque, nous est-il dit : « Dieu a jugé bon qu’habite dans le Seigneur toute plénitude, que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. » Attentifs à la Parole, c’est-à-dire attentifs mêmement au Verbe qui vient et se fait chair.
Et enfin, cette page d’évangile selon saint Luc que nous recevons avec cette simplicité de cœur que j’évoquais à l’instant. En étant attentifs quand même : c’est pas simplement une jolie histoire édifiante que l’on nous raconte. Comme j’aime souvent le répéter, il ne faut jamais perdre de vue que l’Évangile n’a pas trente-six sujets, il a essentiellement un sujet et ce sujet c’est : le Seigneur. L’Évangile, quelle qu’en soit la page nous parle du Seigneur.
Nous rencontrons aujourd’hui, comme cela arrive parfois, un docteur de la loi. C’est à dire pas tout à fait n’importe qui. C’est un lettré, pour le coup ; c’est un sachant, peut-être même un savant et qui vient vers Jésus — donc il le reconnaît comme quelqu’un qui a quelque chose à dire, qui a une autorité. Et il vient lui poser la question qu’il porte sérieusement dans son cœur : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Et j’attire votre attention sur la réponse que lui fait Jésus, elle est importante pour nous. Jésus d’abord ne répond pas directement, il commence par renvoyer celui qui vient vers lui à ce qu’il devrait savoir et qu’il sait
d’ailleurs parce qu’il va réciter son catéchisme très bien. Jésus lui dit ceci : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? » Ça c’est la première partie de la question. Et ensuite, il lui dit : « comment lis-tu ? »
À une époque où tous les fondamentalisme refleurissent tellement, où d’aucuns nous enseignent qu’on devrait recevoir l’Écriture sans discuter, en prenant tout au pied de la lettre, la remarque porte ! Il suffit d’aller se balader dans les alentours immédiats de notre église pour entendre tout un tas de gens qui vous braillent la Bible mais qui ne se posent pas la question de la lire d’abord, ni ensuite de savoir comment il faut recevoir ce qui nous est dit. La Parole de Dieu, elle nous est donnée pour nous éveiller. Bien sûr qu’elle nous apporte des réponses, mais elle nous apporte des réponses dans la mesure — et dans la mesure seulement — où nous voulons bien nous mettre en chemin. Poser, nous poser des questions, ne pas avoir de raccourcis trop simplistes, comme ceux qu’on prétend parfois que la religion apporte. Non ! l’Écriture pour nous, et le Seigneur
pour nous, sont des éveilleurs, ils attendent de nous que nous nous mettions en chemin. « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? …Comment lis-tu ? »
Et ensuite, évidemment, le docteur de la Loi peut facilement faire sa réponse en citant d’ailleurs le cœur de son catéchisme : « Aimer Dieu et aimer son prochain. » Mais voilà qu’il a une difficulté, il a du mal à discerner qui est son prochain. Et c’est ça qu’il va poser comme question à Jésus. D’où la fameuse parabole du « Bon Samaritain ». Et cette parabole nous invite, dans la mesure du possible, à ne laisser jamais personne sur le bord du chemin, à ne jamais détourner le regard, mais à nous poser quant à nous, plus précisément, la question : au nom du Seigneur et au titre de ma foi, au titre d’une religion d’amour que je confesse porter, qu’est-ce que je peux faire ?
Comment est-ce que je peux aller au secours de quelqu’un ? Comment est-ce que je peux accueillir quelqu’un qui vient vers moi pour trouver une aide, quelle qu’elle soit, matérielle, psychologique, psychique, spirituelle, affective, que sais-je… qu’est-ce que je peux faire ? Mais la pointe de cette parabole, et les Pères de l’Église aiment bien le rappeler, est aussi ailleurs. Je vous disais tout à l’heure que l’Évangile n’a qu’un sujet : il nous parle de Jésus. Et qu’est-ce qui nous est dit là ? Eh bien, il nous est dit que quelqu’un, un homme — ça peut être n’importe qui — « descendait de Jérusalem à Jéricho… » Et voilà qu’il s’est trouvé au mauvais moment, au
mauvais endroit, mal lui en a prit, il s’est fait battre pratiquement à mort. Ça, c’est l’histoire de l’homme pécheur à travers tous les temps. L’homme malmené par ses désirs désordonnés, ses faiblesses, ses lenteurs, ses manques de courage, ses manques de persévérance. C’est nous. C’est tout un chacun. Je repense ici, je ne sais pas pourquoi au grand Canon de saint André de Crète, que l’on chante pendant le carême (c’est un canon qui dure vraiment les quarante jours de carême) et il y a un pécheur qui regarde son péché et le confesse. Quand on chante ce grand texte, on se sent très très pauvre et pour tout dire très très moche devant Dieu. On a absolument besoin de sa grâce.
Donc cet homme-là, c’est l’homme cabossé par le péché. Alors, qui va pouvoir lui venir en aide ? Le Temple ? personnalisé ici par le prêtre ou le lévite ? Eh bien, la parabole nous dit non ! Non ! Ce qui va pouvoir lui être utile, ce qui va pouvoir lui venir en aide, c’est un étranger, cette figure du Samaritain qu’on rencontre souvent aussi dans l’Évangile, le repoussoir. « Samaritain », ça rime avec « bon à rien », c’est à fuir ! Que ce soit une femme samaritaine ou un homme samaritain, on fait tout pour ne pas les croiser. Et ici, c’est lui, cet homme ostracisé, regardé en biais ou de travers qui va s’approcher du malheureux.
Alors, ce Samaritain, ce personnage venu de nulle part, c’est qui ? Il est celui qui vient au secours de l’homme pécheur et ce n’est personne d’autre que le Seigneur Jésus lui-même. Il est pourtant bel et bien fils d’Israël, il est pourtant bel et bien fils de David, mais il reçoit au profond de lui, ce que la Parole de Dieu veut susciter en nous : l’appel à faire le bien. De sorte qu’il ne sera pas reconnu par ses pairs ou par ses coreligionnaires, il sera traité même moins bien qu’un Samaritain, il sera mis en pièces mais le salut vient bien de lui, fût-ce par des voix improbables — à vue humaine.
Ce que nous contemplons dans l’homme battu à mort, c’est notre condition fragilisée de pécheur. Ce que nous contemplons dans le Samaritain, c’est toute la gratuité de l’amour de Dieu qui jaillit d’abord dans le Seigneur Jésus et dont on ne sait jamais ensuite d’où elle pourra jaillir. Peut-être de notre cœur, peut-être de notre regard, peut-être de nos mains.
Alors j’espère que le docteur de la Loi et nous-mêmes, nous avons reçu la leçon. Il s’agit d’envisager notre condition, la condition de tout homme, toute femme, avec lucidité — le péché ça fait des dégâts, le mal ça fait des dégâts, ça tue —, mais en même temps avec courage et bienveillance. Là où il y a un mal, il peut y avoir un bien à faire. Et Jésus se donne en exemple. Il nous invite, comme il le fait souvent, à faire comme lui ce qu’il fait pour tout homme pécheur : il va vers lui, il s’en occupe et il dépense sans compter.
La leçon de tout cela, c’est que quiconque se met à l’écoute de la Parole du Seigneur, quiconque veut bien prendre un peu de temps pour contempler le Mystère du Christ tel qu’en lui-même, ainsi que nous le montre Paul dans l’épître aux Colossiens, est convoqué à engager toute sa vie à faire le bien, comme le Seigneur lui-même l’a fait, à donner de son temps de son bien et de toute son existence, pour devenir un être de plus en plus utile, bienveillant et bienfaisant. En célébrant cette eucharistie, demandons au Seigneur la grâce de suivre l’exemple qu’il nous donne : il a fait le bien, il nous demande de faire de même, sans compter.
AMEN