Is 66, 10-14c / Ps 65 (66) / Ga 6, 14-18 / Lc 10, 1-12.17-20

Je le disais en commençant notre célébration, nous revenons donc à ce Temps qui est dit « ordinaire », le temps “en vert”. Temps qui est aussi le Temps de l’Église. Et ça tombe assez bien parce que, aujourd’hui, nous entendons une page d’évangile qui nous parle justement de l’annonce de l’Évangile, qui nous parle de l’envoi en mission. Et récemment, quelqu’un comme le pape François et après lui le pape Léon, mais déjà avant, les pontifes les plus récents ont beaucoup parlé, nous ont beaucoup parlé de l’Église missionnaire. À vrai dire, quand on dit : « Église missionnaire », c’est un peu tautologique, parce que l’Église elle n’est que cela, elle n’est que missionnaire, elle est signe d’Évangile, du moins, à tout mettre au mieux. Elle n’existe pas pour elle-même. Elle a vocation à désigner le Christ.

Alors qu’est-ce que cela peut signifier ? Et qu’est-ce que cela peut signifier, pas simplement pour les ministres de mon espèce, moi qui vous parle en ce moment, mais qu’est-ce que cela peut signifier pour nous tous, qui avons été marqués de la triple onction qui fait de nous des prêtres, c’est-à-dire des gens qui ont quelque chose à offrir, éventuellement leur vie ; qui fait de nous des prophètes, c’est-à-dire des gens qui ont quelque chose à dire, quelque chose à partager ; une onction qui fait de nous aussi de nous des rois, c’est-à-dire des gens qui ont un certain sens des responsabilités, de la responsabilité de leur vie, de la responsabilité de la vie des autres, leurs frères et sœurs, de la responsabilité même de la Création. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Les textes que nous avons entendus nous donneront l’occasion de décliner quelques aspects, Mais il y a une chose par laquelle on peut commencer. On peut commencer par se dire ce que n’est pas une Église missionnaire. Tout à l’heure, en début d’après-midi, je rentrai d’une course en ville et je suis passé par la rue Lescot (la rue qui passe en-haut de la fnac). Et là, régulièrement, vous le savez, il y a des prédicateurs de rue que j’ai évoqués quelquefois ici. Cette fois-ci, il y avait une dame qui ne disait rien mais elle portait une espèce de vareuse et dans le dos, il était écrit : « Mettez de l’ordre dans votre vie ! », en dessous : « repentez-vous ! », en dessous, en gros, en rouge : « Jésus Christ » et en dessous encore, en gros aussi : « revient ». Autrement dit, « Soyez prêts pour le retour du Juste Juge ! ». C’est la prédication version terroriste. C’est-à-dire, ça consiste essentiellement à faire peur aux gens, ça consiste
essentiellement à les rendre maladivement inquiets d’une fin des temps dont on ne sait pas pour quand exactement elle est programmée, et donc on peut se rendre malade à longueur de vie de n’être pas au rendez-vous du Salut.

Est-on certains que c’est cela que le Seigneur veut pour vous ? Parce qu’il faut être honnête, quand vous entendez ça, quand vous lisez ça, ou quand vous entendez la prédication qu’on entend pas mal, même dans notre quartier, c’est quand même souvent pour faire un peu trembler. Comme si on nous disait : « Attention ! ne jouez pas avec la fin des temps, n’attendez pas d’être sur votre lit de mort pour vous convertir, ça sera déjà trop tard… Vous risquez, au mieux, le purgatoire et — qui sait — peut-être l’enfer ! »

Non ! Une Église missionnaire ce n’est pas une Église qui fait peur. Même si, on peut bien le dire, dans le passé à certains moments, ça a été un instrument qu’on a un peu utilisé, on a fait un peu peur aux gens. Vous connaissez peut-être cette plaisanterie à l’époque où il y avait beaucoup de retraites paroissiales qui étaient prêchées par une congrégation qui s’appelait « les Rédemptoristes ». Ils avaient été rebaptisés : « les Rédempterroristes » parce que, quand ils venaient prêcher une retraite, évidemment à la fin de la retraite, le but du jeu c’était de passer au confessionnal pour redevenir tout blanc comme neige… Or donc, si d’aventure, l’Église missionnaire ce n’est pas ça, alors qu’est-ce que ça peut être ?

Sans doute qu’on peut entendre ce que nous dit le prophète Isaïe, qui place l’ensemble de sa prédication, dont on sait qu’elle est par ailleurs assez austère quelquefois, il la place ici sous le signe de la joie : « Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! » Et encore plus loin, dans le registre de la promesse : « Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance
à ses serviteurs. » Et sa puissance, c’est une puissance de jugement, c’est une puissance de discernement, mais c’est surtout, et on n’y insistera jamais assez, une puissance de vie. De toujours à toujours, depuis le premier récit de la Création, jusqu’à la fin du livre du Deutéronome que l’on cite si souvent au chapitre 30 verset 15 : « Choisis donc la vie ! », puisque tu as devant toi deux chemins, d’un côté la vie et le bonheur, de l’autre la mort et le malheur, la différence se prenant tout simplement du fait que oui ou non tu suivras la Loi du Seigneur. Et le Seigneur
d’insister : « Choisis donc la vie ! ». C’est cela qui est urgent. Isaïe nous dit que c’est possible. Il nous dit que c’est donné.

Lorsque je regarde maintenant et lorsque j’écoute ce que nous dit saint Paul, dans cette magnifique page de cette magnifique épître aux Galates, épître qui répond à l’épître aux Romains. Saint Paul nous place d’emblée devant le signe de l’amour qui ne ment pas. Il nous place devant la croix du Seigneur. Pas pour nous accabler, pas pour nous faire reproche de moult péchés qui auraient valu au Rédempteur cette mort abominable. On n’est pas dans ce registre, j’ai dit que c’est le signe de l’amour qui ne trompe pas. Le Seigneur nous a aimés, saint Paul le dit: « alors que nous étions encore pécheurs » et que nous persistons malheureusement à l’être. Mais il nous a aimés, il ne nous a pas sortis de là à coup de jugements, à coup de condamnations, il le dit très explicitement dans l’Évangile. Il nous sort de notre péché, ou il nous aide à en sortir, en nous aimant, en nous aimant inlassablement.

Et saint Paul ne voit pas la croix du Seigneur comme quelque chose qui lui serait étranger. J’espère que vous avez noté ce qui est dit ici : « Par elle (la croix) le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde. » Autant dire que nous sommes tous devant ce grand signe. Et saint Paul de continuer : « Ce qui compte le plus, c’est d’être une création nouvelle », c’est de se laisser recréer, ce n’est pas de contempler notre péché, mais au contraire de s’en laisser pardonner, de se laisser refaire par le Seigneur, d’accueillir cette grâce que saint Paul appelle de ses vœux à la
fin du passage de l’épître que nous avons entendu : « Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen » Cette parole qui nous rappelle aussi la dernière parole de l’Apocalypse : « Que la grâce du Christ soit avec tous. »

Lorsqu’on lit le passage consacré aux soixante-douze disciples nous pouvons tous nous sentir concernés. Et ce, à juste raison, car tous/toutes nous sommes envoyés. Tous, autant que nous sommes, avec nos talents, avec nos lenteurs, avec nos formes d’intelligence, peut-être parfois aussi avec nos peurs… tous, nous avons vocation à partager l’Évangile que nous avons reçu. Et le premier moment de la mission, il n’est pas extérieur à nous, le premier moment de la mission, c’est de se laisser évangéliser soi-même. Accueillir l’Évangile comme un ferment de vie, comme une lumière qui peut changer notre intériorité ; l’accueillir pleinement, se laisser travailler par lui, le laisser prendre racine en nous, et une fois que nous nous sommes suffisamment mesurés à cette Parole — qui est un énorme défi puisqu’il s’agit d’aimer à fonds perdu — simplement aller vers les autres. Il ne saurait absolument pas être question d’être des sergents recruteurs, des braillards du dogme, non ! il s’agit simplement d’être des frères et des sœurs pour nos frères et sœurs en humanité, et d’aller vers eux en leur désignant Celui qui s’est fait notre frère, qui nous a sauvés en prenant notre humanité, en l’habitant, avec cette perfection d’amour, cette force d’amour, ce désir de salut pour tous et pour toutes qui était le sien au nom de Dieu son Père.

Nous ne sommes propriétaires de rien mais nous pouvons être témoins de cet amour infini de Dieu qui, dans le Christ, va jusqu’à donner sa vie pour nous sauver, va jusqu’à donner sa vie pour nous appeler à aimer comme Lui-même a aimé.

Il y a quand même quelque chose à remarquer chez les 72 disciples : ils sont tout contents lorsqu’ils reviennent vers le Seigneur. Le Seigneur leur a donné une mission, mais il leur a donné aussi quelques moyens apparemment : les esprits leur étaient soumis et donc, ça a très bien marché ! Le Seigneur a constaté l’efficacité de la mission. Et donc, lorsqu’ils reviennent, ils sont tout heureux parce que : « Même les démons nous sont soumis en ton nom, Seigneur . » Jésus corrige le tir, et il le fait pour chacun d’entre nous : « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

Je repense à une interview du cardinal Barbarin, qui parlait justement de la prédication, et de la satisfaction que peut apporter, pour chacun et chacune d’entre nous, une prédication, une mission, une annonce réussie. Le cardinal disait : soyons très très prudents, d’abord on ne mesure jamais toutes ces choses-là, et ce qui est vraiment important, c’est que la Parole soit proposée, jamais imposée mais proposée. Ce qui est important, c’est que soit attesté que, comme
dit Jésus, « le règne de Dieu s’est approché », approché autant qu’il peut le faire. Après, si on veut qu’il rentre dans nos existences, à nous d’ouvrir la porte de nos vies et de nos cœurs.

Je repense en terminant à l’encyclique si importante que nous avait laissée le pape François. Une encyclique dont le titre est un rappel à l’ordre, un rappel à l’ordre de la fraternité. A un moment où les disciples de saint François se chamaillaient et chipotaient un peu sur les préséances, saint François a haussé le ton et il rappelé à tout le monde : « fratelli tutti ». Ce n’était pas une invitation, c’était un rappel à notre véritable condition. Qui que nous soyons, à quel que niveau que nous soyons, quelle que soit notre fonction dans l’Église, nous sommes simplement des frères et sœurs du Seigneur Jésus, nous sommes des frères et sœurs de tous ceux et celles qui partagent notre humanité. Ce que nous pouvons leur dire, c’est que c’est une expérience magnifique que de se savoir aimés de Dieu, de se savoir appelés « enfants de Dieu », non pas parce que ce serait une promesse dans le vague faite pour l’avenir, mais parce que cela nous est donné dès maintenant.

Alors soyons missionnaires, portons la nouvelle que le Seigneur nous confie, soyons des témoins d’Évangile, soyons les frères et sœurs du Seigneur et allons vers nos frères et sœurs avec les dispositions aimantes, bienveillantes, qui étaient celles du cœur du Christ (cf. l’épître et l’hymne aux Philippiens)

AMEN