Pr 8, 22-31 / Ps 8 / Rm 5, 1-5 / Jn 16, 12-15

Après cette longue période de préparation au Temps pascal, de célébration du Temps pascal, nous sommes revenus maintenant dans le Temps de l’Église, le Temps ordinaire, mais il y a quand même encore quelques fêtes qui vont scander ce dimanche, le dimanche suivant et le vendredi qui suivra. Aujourd’hui, Sainte Trinité, la semaine prochaine le Saint Sacrement et ensuite, le vendredi suivant, le Sacré Cœur de Jésus.

Sainte Trinité. Je voudrais commencer par une citation d’un auteur que j’aime bien, Jean Guéhenno, qui disait dans son journal des années noires : « Dieu, la plus noble de nos idées vagues. » Si on part comme ça, évidemment, on part du mauvais pied. De plus, on risque de se trouver disqualifiés devant le Mystère en se livrant à une très pauvre, misérable, algèbre : 3 = 1, 1=3.

Pour entrer dans le Mystère, il faut l’aborder pour ce qu’il est, à savoir justement le Mystère. Il faut se poser devant Dieu. Certes, il est très difficile d’en parler, mais ce qu’on peut dire en étant sûrs de ne pas se tromper, c’est ce que Dieu n’est pas. Il n’est justement pas une idée. Permettez que je le redise : il n’est pas une idée. Et si aujourd’hui nous prenons le temps, nous, de poser ce geste doxologique en nous plaçant devant devant le Père, le Fils et l’Esprit Saint, si nous prenons le temps de nous poser devant le Mystère de cette communion d’amour, c’est parce que c’est bien cela que nous confessons au cœur de notre foi. Et s’il est difficile — voire risqué — d’en parler, il ne faut pourtant pas rester silencieux. Il faut énoncer ce Mystère avec discrétion , avec retrait.

Vous vous souvenez que nos frère aînés dans la foi, nos frères juifs, ne prononçaient jamais le Nom que Dieu pourtant leur avait donné : le tétragramme sacré : YHWH. Quand ils voyaient ces signes, ils disaient n’importe quoi, mais justement pas le Nom. Il disaient : Adonaï ; parfois ils disaient aussi HaShem : le Nom), par respect pour ce grand Mystère devant lequel nous nous posons. Ce que nous pouvons nous dire et qu’il faut que nous nous disions, c’est que si on ne veut pas que notre religion se résume à une espèce de mauvaise morale ou à des règlements, des prescriptions ou des interdictions, eh bien, il faut se le dire tout simplement : nous avons
vocation à être des contemplatifs. Nous avons vocation à nous poser devant le Mystère de Dieu, pour à la fois prendre la mesure de sa grandeur qui nous échappe du tout au tout et prendre aussi la mesure de notre petitesse. Le Mystère de Dieu ne se hurle pas, le Mystère de Dieu ne se crie pas, le Mystère de Dieu se murmure.

Je repense à un grand Père de l’Église : Grégoire de Nazianze. Quand il aborde le Mystère de Dieu, il dit : « Ô Toi, l’au-delà de tout, n’est-ce pas là tout ce que l’on peut chanter de Toi ? Quel mot te dira, quelle prière ? … » Grégoire a bien conscience que le Mystère de Dieu requiert d’être approché avec beaucoup de discrétion, beaucoup de réserve, un infini respect. Pourtant il faut s’en approcher ! Pourquoi ? eh bien, parce que il y a beaucoup d’enjeux pour nous dans cette démarche d’aller vers le Seigneur ou de le laisser venir vers nous. Il en va de notre humanité. C’est en nous posant devant notre Créateur que petit à petit nous nous humanisons, que petit à petit nous réalisons le mystère de notre appartenance à la famille de Dieu. Je repense à un mot que l’on prête à Newman, et que de fait il citait souvent, il se pensait : « myself (moi-même) and my creator » (et mon Créateur).

Faire cette démarche contemplative, au fond, de mise en présence. Nous avons un accès au Mystère du Dieu Trinité, et cet accès, c’est la personne du Seigneur Jésus. Il n’a cessé, pendant toute sa prédication, de tourner les regards vers Celui de la part de qui il venait ; il a passé son temps à se référer à ce Père avec lequel il est en constante syntonie, le Père qui n’a pas vocation à apparaître Lui-même. Il apparaît dans le fils. C’est le Fils qui est pour nous le visage du Père, les mains du Père ou la voix du Père. Vous vous souvenez sans doute de cette apostrophe de Philippe qui demandait au Seigneur « Montre-nous le Père et cela nous suffit. » (Excusez du peu !) Et la réponse de Jésus, comme si les bras lui en tombait : « Philippe, ça fait si longtemps que tu es avec moi et tu ne me connais pas encore ? Qui me voit, voit le Père. » « Qui me voit, voit le Père. » Et lorsqu’il écrivait sur le Père, le père Bouyer disait justement : « le Père invisible ». Invisible, oui, mais présent, présent dans le Fils. Invisible oui, mais accessible, accessible dans le Fils. Accessible aussi par cet Esprit que vous avons reçu et que nous avons célébré la semaine dernière.

Alors, nous sommes constamment dans le Mystère de la Trinité, nous sommes constamment dans le Mystère de cette dynamique de communion d’amour qui est la vie même du Père, du Fils et de l’Esprit. Il ne vous aura pas échappé que lorsque nous invoquons la Trinité — et nous le faisons souvent — c’est toujours en nous marquant du signe de la croix. Il y a matière à méditer infiniment sur ce rapprochement entre un signe d’infamie, un instrument de torture, et le Nom, le propre Nom du Dieu trois fois saint : Père, Fils et Esprit Saint. Un Dieu qui n’est ni un ni trois, un Dieu qui est communion d’amour aux siècles éternels.

Et il y a plus que cela. Notre humanité, je vous le disais, a des enjeux à l’égard de ce Mystère. Elle s’en reçoit. Elle n’a pas vocation à le tenir à distance, non ! elle a vocation à en participer. Le Père, le Fils et l’Esprit entendent nous faire le don de partager leur vie, de partager leur amour. Dans le baptême, nous recevons cette nouvelle naissance à la vie nouvelle, à la vie recréée. Nous devenons fils dans le Fils, avec lui nous nous tournons avec confiance vers le Père, pour lui adresser la prière des enfants de Dieu : Notre Père qui es aux cieux

Alors frères et sœurs, ce soir en méditant sur ce Mystère de la communion divine, prenons le temps de nous poser devant lui et même de plonger en lui. Je n’ai pas descendu le texte de la belle prière de sainte Élisabeth de la Trinité : « Ô mon Dieu, Trinité que j’adore … » Si vous avez l’occasion de lire ce texte, de le prier même, ne le manquez pas. Élisabeth ne tient pas du tout la Trinité à distance, elle ne contemple d’ailleurs pas la Trinité de manière intellectuelle. Non ! elle la contemple comme une réalité vivante dont elle fait l’expérience, dans laquelle elle est plongée, dont elle se laisse visiter continûment.

Le Mystère de l’Église n’est jamais tant lui-même que lorsque, précisément, il se reçoit de la dynamique trinitaire, de l’amour échangé entre le Père, le Fils et l’Esprit. C’est en ce sens-là que l’on dit que l’Église est : « Mystère ». Elle vit d’une vie qu’elle aurait bien du mal à nommer en son fond, mais elle en vit. Et au fond Trinité, c’est d’abord pour nous une « expérience » (il y faut tout de même des guillemets) que nous vivons dans la foi. Pas quelque chose que nous cherchons à comprendre, au sens où l’on voudrait élucider le Mystère mais quelque chose dont nous vivons et qui finalement est confessé comme une promesse qu’il y aura toujours davantage à comprendre, à recevoir de lumière ou à recevoir de vie.

« Contempler. Et transmettre aux autres ce que l’on a contemplé », disait Saint Thomas d’Aquin.

Comme j’aimerais que nous pensions, sans complexe, que nous avons une vocation proprement contemplative. Comme je voudrais que nous nous mettions devant le Mystère de notre Dieu, sans le mettre en équation, mais nous le laissant dire, raconter, expliquer si on veut, par le Fils. Vous vous souvenez de ce magnifique début de l’Évangile de Jean. À la fin du Prologue, il énonce cette vérité complètement banale (autant que première) : « Dieu, nul ne l’a jamais vu » et il continue « le Fils, unique qui est tourné vers le sein du Père, lui, nous l’a révélé, expliqué, nous l’a conté. »

« Dieu, nul ne l’a jamais vu », mais si nous cheminons humblement à l’écoute de sa Parole, humblement dans les pas de son Fils, si nous méditons son Mystère, alors petit à petit et invinciblement nous y entrons. Ce n’est pas un Mystère sur lequel on met la main, c’est quelque chose qui nous est donné.

Souvenons-nous simplement de cela : la Trinité, on n’est jamais devant, comme devant un mur, non ! plutôt nous sommes dedans comme dans une dynamique de vie, la vie que le Seigneur veut nous donner dans son amour.

AMEN