Ac 7, 55-60 / Ps 96 (97) / Ap 22, 12-14.16-17.20 / Jn 17, 20-26

Juste quelques mots en écho à ce que nous venons d’entendre, aussi bien dans le livre des Actes des Apôtres, que dans le livre de l’Apocalypse ou encore, dans cette page de l’Évangile selon saint Jean.

En entendant en particulier la deuxième lecture, la lecture de l’Apocalypse, je notais que nous sommes arrivés à la fin de ce livre, à la fin du chapitre 22. J’ai juste regretté à vrai dire que l’on n’ait pas le tout dernier verset de l’Apocalypse. Il y a bien sûr cette prière que nous faisons toujours : « Maranatha ! », « Viens Seigneur Jésus ! » et le dernier verset ajoute : « Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous ! »

Mais en tout cas, il y a un trait très frappant. Alors que nous avons célébré l’Ascension, alors que désormais nous faisons chemin sans la présence physique du Ressuscité, nous avons pourtant le bénéfice de sa présence. Nous parlons, nous, quelquefois dans l’Église, de la « présence réelle », une présence du Seigneur qui n’est pas toujours ressentie, qui n’est pas livrée à notre sentiment, qui est offerte à notre foi, mais une présence qui ne nous fait jamais défaut : il chemine avec nous, il est mort par amour pour nous, il est ressuscité dans la puissance de l’Esprit d’amour pour nous et il nous a donné en partage cette vie pleine et entière dont il jouit à présent, vie de Ressuscité.

Lorsque l’on parle de sa « gloire », il ne s’agit pas simplement de quelque chose qui relèverait du numineux, de l’impressionnant, du fascinant, non ! il s’agit plutôt d’abord d’une densité d’existence, d’une plénitude. La gloire de Dieu, c’est son rayonnement, bien sûr, mais au cœur de son être, c’est d’abord cet amour qu’Il est en Lui-même, amour partagé entre Père, Fils et Esprit Saint. Et quant aux modalités que nous avons pour cultiver la relation avec le Seigneur Jésus, en fait, elle sont doubles. La première : nous écoutons sa Parole, encore, encore et encore ; nous laissons vivre son Évangile en nous ; à la lumière de son Évangile nous relisons les Écritures passées ; à la lumière de son Évangile nous écoutons l’écho qu’il trouve dans tout le Nouveau Testament.

Au-delà de cela, nous sommes aussi attentifs à l’écho qu’il trouve dans tant et tant de vies, les nôtres, mais aussi certaines vies particulières qui sortent un peu du lot. Vous avez peut-être repéré — et si vous ne l’avez pas repéré maintenant ce sera fait — que le pape Léon vient d’envoyer aux catholiques de France une lettre, en attirant leur attention sur, principalement en l’espèce, trois figures de sainteté (ça tient principalement à des centenaires qui sont fêtés) : il y a saint Jean Eudes, il y a le curé d’Ars et il y a la petite Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, sainte Thérèse de Lisieux. Autant d’êtres qui, chacun à sa manière, se sont laissé façonner
par l’Évangile. Et quand vous nommez ces trois-là vous voyez combien ils sont très différents ! Qui dit sainteté ne dit pas « standardisation ». Tout au contraire chacun, à sa manière, a laissé résonner dans sa vie l’Évangile, pour que l’Évangile la transforme.

Mais surtout, et c’est la deuxième chose dont je voulais vous parler : lors même que nous dialoguons avec l’Écriture, que nous la laissons résonner encore et encore, il y a aussi, comme modalité du lien avec le Seigneur, la prière. Avez-vous noté combien ces trois textes, que l’on nous donne à entendre aujourd’hui, nous invitent à la prière. Je pourrais commencer par parler du dernier que nous avons entendu, qui nous plonge directement au chapitre 17 de Jean, dans la prière même de Jésus. D’ailleurs dans ces quelques chapitres qui vont du chapitre 13 à 17 on voit beaucoup Jésus prier. On l’entend parler aux siens dans le grand discours qu’il leur tient. C’est comme s’il parlait méditativement à voix haute, comme s’il partageait à ses disciples — et c’est ce qu’il fait d’ailleurs — son intimité. Mais incontestablement, le grand leitmotiv, tout ensemble avec le commandement de l’amour qui revient constamment, c’est cette prière pour l’unité. Dans un monde tel que nous le connaissons, qui n’est ni pire ni meilleur que le monde qui l’a précédé, mais dont nous voyons tellement les déchirements, dont nous souffrons tellement des déchirements, nous comprenons combien il est urgent, non seulement de prier, mais aussi d’agir pour que l’unité advienne, pour que non seulement les croyants soient un — on ne sait que trop les difficultés pour construire l’unité entre nous — mais que, aussi, l’humanité soit une, qu’elle arrête de se déchirer, qu’elle trouve les voies de la rencontre, du dialogue et même peut-être de la
communion, et que finalement peut-être tout cela aussi soit éclairé de la lumière de l’Évangile.

Et vous avez remarqué que dans la prière du Seigneur, il n’y a pas tant que ça de distance entre le le Mystère qui est le sien avec son père comme Mystère d’unité et le mystère qui est le nôtre avec lui, comme mystère d’unité : « Que tous soient un, comme toi et moi Père nous sommes un, et moi en toi et eux en moi. » Relisez ce texte et laissez les mots tourner et résonner en vous. Le Seigneur insiste beaucoup. Le grand signe, le grand signe que nous sommes sincères, que nous sommes vrais, que nous avons une vraie ambition spirituelle, c’est le fait que nous consonnions à ce vœu du Seigneur que nous soyons un. C’est toute sa prière, c’est la raison pour laquelle il a donné sa vie.

Alors corrélativement, il y a un deuxième aspect de la prière qui intervient : la prière pour demander le pardon. Je parlais à l’instant d’une ambition d’unité. Nous savons, nous constatons tous les jours que c’est tellement difficile ! Si difficile que parfois pointe la tentation du renoncement. Alors se fait l’urgence de ce que l’on appelle le pardon. Comme le définir ? Je vous propose de le définir comme le don renouvelé encore et encore envers et contre tous les refus.

La figure d’Étienne peut nous éclairer. Que nous dit la figure d’Étienne ? Elle nous dit que, au fond, « le disciple n’est pas plus grand que le maître » : Étienne en passe par là où le Seigneur en est passé. Il n’a pas fait de mal, Étienne, et pourtant, parce qu’il est disciple du Seigneur, il se voit lapider, et on ne nous l’a pas dit ici, mais il y a là un certain Saul de Tarse « qui approuve ce meurtre », comme le dit Luc. Et qu’entend-on sur les lèvres d’Étienne ? D’une part, il a regard au ciel, il regarde le ciel, non pas son malheur. Il a cette vision qui apparaît au livre de Daniel. Il voit le Fils de l’homme et surtout, comme Jésus sur la croix, il invoque le pardon du Seigneur. Pas le sien ! le pardon du Seigneur : « Pardonne-leur, ne leur tiens pas rigueur de ce péché, ils ne savent pas ce qu’ils font. » C’est sans doute un des lieux de résistance les plus difficiles dans nos vies. Il est si difficile de rester dans des dispositions de pardon quand tant de forces de méchanceté sont déchaînées partout. C’est très vrai au niveau personnel, mais c’est tragiquement vrai aussi au niveau des nations, au niveau des ethnies et que sais-je ? Prière pour le pardon. Prière pour ne pas baisser les bras devant la difficulté de construire unité et communion dans l’humanité et tout le crée. Unité et communion comme signe du Royaume.

Mais surtout, et je conclus avec cela, il y a cette belle prière de l’Apocalypse. Une prière qui est tout entière tournée vers l’avenir et qui nous dit là : Nous marchons avec le Seigneur, il est réellement avec nous et nous invoquons constamment sa venue : « L’Esprit et l’Épouse disent : “ Viens !’’ Celui qui entend, qu’il dise : “ Viens !’’ Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement. »

Notre prière, elle est pour l’unité, notre prière elle est pour le pardon, et finalement notre prière elle est pour l’avènement de la grâce à chaque instant. La venue gratuite du Seigneur dans nos vies, dans la vie de ce monde. Et toute l’Apocalypse porte ce message d’espérance. Elle ne doute pas que le Seigneur n’oubliera pas sa promesse, qu’il l’a accomplie dans la personne du Seigneur Jésus et que si nous lui ouvrons nos cœurs il le fera aussi dans nos existences.

Alors frères et sœurs, pendant ces quelques jours entre Ascension et Pentecôte, ne nous lassons pas d’invoquer l’Esprit ! Je vous suggère deux pistes assez faciles : il y en a une que vous connaissez bien, c’est celle du « Veni creator spiritus », « Viens Esprit créateur », et puis il y a aussi ce très très beau texte du « Veni sancte spiritus », la séquence de Pentecôte que nous chanterons la semaine prochaine : « Viens, Esprit-Saint en nos cœurs, et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.…» etc., etc. Une très belle prière, très douce, et comme toutes les invocations à l’Esprit, comme toutes les épiclèses aussi, énergique. Et si nous invoquons l’Esprit et si le Seigneur veut nous le donner et il ne veut que cela, n’oublions pas de lui ouvrir largement les portes de nos cœurs, de notre intelligence et de toute notre vie.

AMEN