Résurrection du Seigneur (C), Veillée pascale, samedi 19 avril 2025 — Saint-Eustache
Homélie du frère Gilles-Hervé Masson o.p. (13:38)
Gn 1, 1 – 2, 2 / Gn 22, 1-18 / Ex 14, 15 – 15, 1a / Is 54, 5-14 /Is 55, 1-11 / Ez 36, 16-17a.18-28 / Rm 6, 3b-11 / Lc 24, 1-12

Jeudi saint nous célébrions l’institution de l’eucharistie et nous évoquions ce geste si simple, que nous posons si souvent et qui, pour nous, contient tout. Nous évoquions un geste de commensalité, de partage de repas, geste-écrin d’une grande mémoire : la mémoire du peuple élu, la mémoire de l’Histoire sainte. Geste-écrin aussi d’une grande ambition : l’ambition de la liberté, et d’une autre ambition, l’ambition de la communion — communion avec le ciel, communion avec le Seigneur, communion sans doute entre nous tous, nous toutes, qui confessons le Seigneur, mais si ça s’arrêtait aux frontières de notre Église ce ne serait pas la communion que le Seigneur a voulu, lui qui a dit verser son sang pour nous, ses disciples, mais aussi « pour la multitude », la multitude de ceux qui ne sont pas là, soit qu’ils ne soient pas encore arrivés, soit que peut-être ils n’arrivent jamais. Mais, quoi qu’il en soit, ils sont présents à l’intention d’amour du Seigneur telle qu’elle se révèle, telle qu’elle se dit, telle qu’elle passe à
l’acte dans la personne du Seigneur Jésus.

Et dans cette nuit, nous avons retraversé cette longue Histoire : nous avons écouté la Genèse, nous avons écouté l’Exode — c’est la Torah, c’est ce Moïse qu’on avait aperçu dans la Transfiguration, mais nous avons aussi écouté Isaïe, et nous avons écouté Ézékiel et c’est Élie, le grand prophète qui coiffe toute la prophétie que nous avons retrouvé là. Et tout nous parle du Mystère du Seigneur. Car enfin, toute cette longue histoire, elle a un point d’impact et un point d’impact très simple, c’est une personne : Jésus de Nazareth, un homme qui vient de Dieu, en attendant qu’on ait compris que c’est Dieu, en lui, qui vient à l’homme.

Alors, ce soir, on pourrait retraverser tellement de choses ! Je ne peux retenir que tel ou tel détail qui — au demeurant — n’en est pas tout à fait un. Et d’abord, je suis toujours sensible à cette lecture de Isaïe 55, que vous pourrez relire, et qui nous dit — c’est dans la bouche du Seigneur lui-même — que la Parole qu’il nous donne, dont il nous fait don, ne reste jamais sans effet. Elle nous est envoyée, elle a vocation à passer par nous, par notre écoute, par notre disponibilité, mais aussi par notre désir de la mettre en œuvre, de la faire advenir, et, cela étant fait, elle peut revenir vers le Seigneur après avoir porté son fruit en nous et par nous et nos œuvres bonnes.

Pour vous ce soir, tout particulièrement, Pierre, Mahaut, Quentin, Emilio, retenez cela : la Parole du Seigneur ne vous fera jamais défaut. Elle vous accompagnera dans vos désirs, pour les purifier, pour les exhausser ; elle vous accompagnera dans vos peurs, pour vous rassurer ; elle vous accompagnera dans vos peines, pour vous consoler ; elle vous accompagnera dans vos joies, pour les démultiplier ; elle vous accompagnera dans toute votre vie pour que vous demeuriez branchés sur le Seigneur, par la prière et en lien avec vos frères par la prière partagée mais aussi
par le service.

Et puis, vous avez entendu cette si énergique lecture de saint Paul aux Romains. Saint Paul qui
parfois nous déroute mais saint Paul qui parfois aussi nous impressionne par son énergie,
justement parce que, après l’avoir longtemps refusé, il s’est attaché au Seigneur. Entre eux s’est
noué quelque chose de si fort ! plus de place pour le doute ! Christ est ressuscité, et c’est pour
que, dès maintenant, nous vivions de la grâce de la Résurrection. C’est pour que, dès maintenant,
nous inscrivions nos existences, non pas sur un horizon de finitude que nous ne connaissons que
trop, mais au-delà de cela, sur un horizon d’éternité. Il nous parle du Seigneur pour que nous
accueillions dans nos vies la grâce du Christ.

Et à l’instant, je vous parle à vous, mais je nous parle à tous, à l’instant vous allez recevoir le baptême, la chrismation, l’eucharistie. On ne pourra pas vous donner plus ! Mais qu’est-ce que ça veut dire cela ? Eh bien, comme le disait saint Paul, ça veut dire que vous allez être comme entés, greffés sur le Christ. Votre vie, ça va être sa vie et sa vie ça va être votre vie. Vous allez vous attacher à lui comme il s’attache à vous. Et en lui, comme le disait saint Paul, vous allez pouvoir donner à vos existences cette dynamique que nous n’utilisons pas assez et qui est une dynamique d’oblation, d’offrande, de don de soi. Cette dynamique, on pourrait l’appeler une dynamique « sacerdotale ». Le malheur, c’est que les mots sont piégés. Quand on parle « sacerdoce », quand on parle « prêtre », on voit tout de suite des gens comme moi ou quelques-uns qui sont dans le chœur. Alors que, si on regardait dans la bonne direction, sans exclure ceux que je viens de nommer, il faudrait embrasser du regard toute notre assemblée. Car nous tous au baptême nous avons reçu cette puissance d’oblativité, et notre baptême nous relie vraiment au Christ-Prêtre,
c’est à dire au Christ qui s’offre.

J’aime à citer le Père Congar, grand théologien dominicain, qui se plaisait à dire dans une formule très simple : « Un seul est prêtre (Hiereus) » — c’est Jésus. Lui, il a tout donné, sans tricher, sans rien garder ; « Tous sont prêtres (Hiereus)» — c’est nous tous, nous toutes, prêtres de la Nouvelle Alliance, car en lui, nous aussi, nous pouvons tout donner. En lui, nous pouvons travailler à ce que dans ce monde où nous sommes, si souffrant que nous le connaissions, les puissances de don et de pardon, avec persévérance, résistent à tout ce qui leur est contraire. Et le
Père Congar concluait :« Quelques-uns sont prêtres ». Mais là ce n’était plus des Hiereus mais des Presbytres (presbytères), des Anciens. Ainsi, « quelques-uns sont prêtres », ce sont précisément ceux que j’ai évoqués au début de ce paragraphe. Il n’y a du reste pas lieu — surtout pas ! — d’opposer les uns aux autres, mais il y a lieu de garder très très présent à notre esprit que ce qui prime c’est vraiment ce sacerdoce que nous partageons. Il me semble que c’est Pie X (mais je me trompe souvent de pape… ) qui avait dit que le plus grand jour de la vie d’un pape, ce n’est
pas le jour de son couronnement (comme on disait alors avec un mot assez triste), c’est bien le jour de son baptême.

Et j’ai noté pour vous, parce que j’ai fini par les retrouver, les citations d’une religieuse, Marie de la Trinité, une dominicaine (là encore veuillez m’excuser, ce n’est pas du chauvinisme, ça s’est trouvé comme ça). Marie de la Trinité, une dominicaine des campagnes, une grande mystique, et aussi une femme qui a beaucoup souffert à son époque, notamment de la discipline ecclésiastique y compris dans la direction spirituelle. Et Marie de la Trinité avait deux thèmes qui lui étaient très très chers. Le premier, c’était l’adoption. Baptisés nous sommes enfants de Dieu et ça passe à l’explicite, mais baptisés, nous sommes aussi prêtres dans le Seigneur Jésus, dans le sens que je viens d’évoquer à l’instant.

Elle était assez précise Marie de la Trinité, et je vous partage ces quelques ajustements qui complètent un peu ce que disait Congar. Elle disait « Le sacerdoce ministériel (le mien par exemple, comme prêtre) procure à l’Église sa structure (et il en faut, cela ne se discute pas) ; « le sacerdoce personnel procure à l’Église sa sainteté » (et c’est de cela avant tout que nous avons besoin). Elle disait encore : « le sacerdoce personnel découle du baptême, de même la filiation. Le sacerdoce ministériel, lui, il est institué. Le sacerdoce personnel — disait-elle encore — est destiné à parfaire le sujet, il s’exerce sans intermédiaires, sans signes, sans ministres — disait-elle — par le dedans. Le chrétien est à lui-même le prêtre, l’autel, l’offrande. La formule originale, plus tard déformée disait Christianus alter Christus, c’est à dire Le chrétien est un autre Christ. En regard de cela, le sacerdoce ministériel est destiné à structurer les communautés et les individus sur l’unique grand prêtre. » Mais ce que je préfère, c’est quand même les deux dernières notations, quand elle dit : « Le sacerdoce personnel, donc baptismal, il est productif, créatif, original ; le sacerdoce ministériel (je vais me l’appliquer à moi-même) ne produit rien, il applique.

Mais surtout, il y a cette vérité que nous ne pouvons jamais perdre de vue — et aucun prêtre ici ne la perd de vue : le sacerdoce ministériel passera, un jour on déposera l’étole… ; le sacerdoce baptismal, lui, durera. » Saint Paul nous dit que ce qui ne passe pas, c’est la charité. La foi, l’espérance …, tout ça, ça nous accompagne, ça nous aide, ça nous guide, ça nous porte,  mais ce qui est appelé à demeurer et finalement à s’accroître à l’infini sans jamais saturer, c’est cet amour qui nous vient du Dieu-Amour, que nous passons notre vie à essayer de recevoir, que nous passons notre vie à essayer de partager, et au fur et à mesure que nous essayons de le faire, nous nous rendons bien compte que ce n’est pas si facile que cela !

Aussi bien, tout à l’heure, vous le verrez, nous aurons quelques dialogues avant le baptême proprement dit. Une première série d’échanges pour nous gendarmer et renoncer au mal, et puis une deuxième série de questions pour embrasser — embrasser, accueillir la foi de l’Église, la faire nôtre, et en faisant nôtre la foi de l’Église faire nôtre essentiellement la personne du Seigneur Jésus Christ.

Tous ici, frères et sœurs, même les vieux baptisés, nous avons reçus le baptême d’eau, bien sûr, mais aussi l’onction baptismale par laquelle nous sommes devenus « prêtres, prophètes et rois ». « Prêtre », j’y reviens encore, parce que nous sommes devenus capables d’offrande, et même si ça résiste, c’est quand même ça la dimension première de notre existence. « Prophète » parce qu’on ne peut pas exclure que nous ayons quelque chose à dire au monde sur le Mystère de Dieu, révélé en Jésus Christ, des vérités à dire sur le monde comme il va — et il ne va pas toujours comme il faut— parler sans peur ; et surtout nous avons reçu la grâce d’être des « rois » et des « reines » c’est-à-dire des gens responsables, des gens qui sont en situation d’exercer une responsabilité au nom du Seigneur et en fidélité à sa Parole.

Évidemment, j’ai peut-être un peu trop parlé, ça fait beaucoup de choses pour vous quatre en particulier, mais pour vous tous aussi. Néanmoins, demeurons dans la célébration de ce Mystère pascal qui demain éclatera avec la célébration de la Résurrection. Et ré-approprions-nous cette grâce d’une puissance d’oblation que le Seigneur nous fait en se donnant à nous et pour nous. N’éteignons jamais cette grâce qui fait de nous des saints ! Et comme ce n’est pas facile, aidons-nous les uns les autres, les unes les autres, à faire fructifier le baptême que nous avons reçu,
l’onction que nous avons reçue, l’eucharistie dont nous nous nourrissons.

AMEN