Avez-vous déjà compté le nombre de piliers de Saint-Eustache ?

Quelle que soit la porte par laquelle on entre dans l’église, ils surgissent et constituent une forêt de pierre aux trois traits majeurs : la couleur, la hauteur, la régularité de leur ordonnancement.

Mais de la texture du matériau, on ne perçoit rien ; rien non plus du vide entre chacun. Le matériel et l’immatériel disparaissent au profit de la forme.

Lauréat du troisième Prix Rubis Mécénat destiné aux jeunes artistes des Beaux-Arts de Paris pour investir l’église Saint-Eustache, Marc Lohner a proposé de regarder autrement ces 82 fûts de pierre, déjà par le titre de son œuvre :

« Acheiropoïètes », terme grec signifiant « non créé par la main de l’homme ».

Parti à la recherche des traces laissées par le temps, la géologie et l’homme, il a photographié toutes les faces des blocs octogonaux, puis il a trié et classé les images et, enfin, il les a imprimées sur cinq lés de tissu translucide de douze mètres de hauteur. Ces peaux photographiques de l’église se sont glissées entre les peaux de calcaire des piliers. Tout est savamment installé avec les mises en perspective, les tons sur tons, les transparences. Les piliers sont fixes et expriment la solidité, la permanence patrimoniale. Les lés, fragiles et éphémères, bougent aux mouvements de l’air dans l’église, à l’image des visiteurs qui y déambulent. L’artiste donne à voir l’assemblage des blocs taillés par les artisans et révèle leur singularité. Il en va de même dans les célébrations, on parle d’ailleurs d’assemblée, où chacun découvre la singularité du voisin, en passant un peu de temps à côté de lui.

Il y a de l’étonnant, de l’extraordinaire dans ces moments religieux ou culturels.

Par son art de l’insertion, Marc Lohner attire notre attention sur le matériel et l’immatériel de Saint-Eustache. Depuis 800 ans, la même émotion du vide et de la pierre, de la dalle à la voûte, saisit les visiteurs et les croyants.

 

Michel Micheau, membre du Collège Visuel de Saint-Eustache