L’Anthropocène, une question de foi

L’Anthropocène, une question de foi

Dans le cadre du centenaire de la présence des Oratoriens à la paroisse Saint-Eustache, un cycle de trois conférences se tiendra, au printemps, sur « l’actualité du dogme de Chalcédoine dans le contexte de l’Anthropocène (1) ». Sous cet intitulé excessivement savant, il s’agit de penser la foi au Christ « vrai Dieu et vrai homme », en prenant en compte les transformations actuelles du monde et des représentations que nous avons de l’être humain dans son rapport à l’Univers.

A ce sujet, le philosophe Bruno Latour, dans Qui perd la terre, perd son âme, interpelle les chrétiens (2). Il fait le constat que la théologie moderne a depuis longtemps perdu le cosmos et donc oublié les limites de l’espace terrestre dans lequel se déploie pourtant l’histoire du salut. Mais « à quoi te servirait de sauver ton âme, si tu en viens à perdre le monde terrestre ? », interroge-t-il. La crise écologique climatique et les sciences contemporaines modifient notre compréhension du vivant en nous poussant « à être attentifs à l’enchevêtrement des êtres qui composent notre sol, notre habitat ». Or, « tout changement de cosmologie offre à la prédication une occasion de reprendre à nouveaux frais aussi bien la forme que le contenu de son message », écrit-il, de sorte que les bousculements cosmologiques que nous vivons sont une opportunité à saisir pour la compréhension même de la foi chrétienne en l’incarnation :

« Il y a entre le Nouveau Régime Climatique et l’incarnation une étrange familiarité. La crise écologique prolonge la direction même que l’incarnation désignait déjà. Le salut est vers l’abaissement, la kénose. Ce qui est en cause, ce sont les limites de l’anthropocentrisme, limites que l’on entend aussi bien dans le thème classique d’une dépendance de l’homme vis-à-vis de son créateur, que dans le thème actuel de la dépendance de l’homme par rapport aux vivants qui ont constitué peu à peu, au fil des milliards d’années, le monde provisoirement habitable dans lequel il s’est inséré ».

Selon Latour, l’Anthropocène nous pousse à redécouvrir la dimension, « terrestre », incarnée, de notre existence, « à rematérialiser de mille façons l’appartenance à la Terre » dont, paradoxalement le matérialisme comme le spiritualisme nous ont privés. Cela revient à postuler qu’il y a pour les chrétiens une façon de se situer de plain-pied dans l’Anthropocène, de s’en laisser affecter et même se laisser saisir tout autrement, d’une façon qui soit positive, par le changement radical de cosmologie que nous vivons ; une façon qui peut être une chance tant pour l’intelligence de la foi chrétienne que pour la science. L’enjeu est de défendre la matière de l’Univers, c’est-à-dire d’embrasser la « chair du monde » pour reprendre l’expression de Merleau-Ponty, afin que nous prenions vraiment en charge le sort de notre planète et de l’humanité. Ce qui exige de percevoir différemment le mystère du « Verbe fait chair », de penser à nouveaux frais le thème fondamental de l’Incarnation divine. Précisément, c’est l’objet du cycle des trois conférences à venir !

 

1. Pour les scientifiques, « l’Anthropocène » est une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force d’influence, de changement et de contrainte sur Terre, surpassant les forces géophysiques et naturelles. 2. Bruno Latour, Qui perd la terre, perd son âme, Editions Balland, 2022, 152 p.

 

Père Romain Drouaud, Vicaire à Saint-Eustache.



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