Et nous, où en sommes nous ?

Et nous, où en sommes nous ?

Homélie de l’Ascension – Jeudi 26 mai 2022

L’évangéliste Luc nous fait deux récits de l’Ascension de Jésus, « Jésus se sépare de ses disciple et disparaît au ciel », l’un à la fin de son évangile (Lc 24/50), rédigé comme une liturgie, l’autre au début du livre des actes des apôtres (première lecture Ac 1/1) où il conclut les récits de la résurrection. « Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». La Voix de l’Evangile déborde désormais les frontières d’Israël. Pour Luc, il est clair que cette expansion, qui à son époque a déjà commencé, est le fruit de l’Esprit-Saint ; et comme Jésus s’était préparé à sa mission par les quarante jours au désert après son Baptême, de même Jésus prépare son Eglise pendant quarante jours, avant qu’elle ne reçoive son Esprit à la Pentecôte : « Pendant quarante jours, il leur est apparu, et leur a parlé du royaume de Dieu. » ; « Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »

Au cours d’un dernier repas, il leur donne ses consignes : un ordre, une promesse, un envoi en mission, et il sera toujours avec eux, au milieu d’eux par son Esprit. Et depuis, L’Eglise est constamment à construire. Depuis cet envoi en mission de Jésus, l’Eglise est constamment en évolution ; évolution positive ou négative, en accord avec l’enseignement de l’Evangile ou en totale contradiction avec lui selon les époques et les régions, une histoire mouvementée mais pas toujours glorieuse. Jésus ne donne pas à ses disciples un schéma d’organisation, il leur donne un mode de recherche et de conversion. Donc l’Eglise cherche, trouve ou se trompe, s’ouvre à la grâce de Jésus et à la force de l’Esprit ou au contraire les trahit l’un et l’autre.

Et nous, où en sommes-nous ? Où en sommes-nous aujourd’hui chez nous ?

Toujours en recherche ­— marquée depuis cette année par la démarche synodale.

Pour ce synode beaucoup d’’acteurs, nombreux sur le terrain : groupe de partage, de recherche, mouvements, associations, écoles, presse, familles, et tout un monde laïc très formé et diversifié, ou en recherche et débutant. Acteurs habituellement occultés par une hiérarchie un peu perdue et paralysée par ses propres déboires ! Le synode nous aide à observer cette « Église d’en bas » dans toute sa richesse, elle porte le projet du dialogue et de la recherche synodale en cours ! Occasion pour les laïcs de prendre leur place en toute liberté, occasion d’innover avec les moyens du bord, à l‘écoute dans le monde d’aujourd’hui. Ici à Saint-Eustache, notre démarche synodale est un vrai succès à poursuivre ensemble, en communion avec toutes les paroisses et communautés qui s’y sont lancées comme nous.

En revanche et à côté du synode, dans les couloirs et sur les parvis, au cours des repas entre amis ou en famille, dans les mails ou à travers les réseaux sociaux, on entend s’exprimer des sentiments forts d’incompréhension entre catholiques.  D’autant plus que les campagnes électorales provoquent ces échanges. Si je m’en tiens aux sujets les plus chauds : pour les uns soutenir un candidat qui veut fermer les frontières est chrétiennement inadmissible ; alors que pour d’autres voter pour un candidat qui ne partage pas nos convictions bioéthiques relève de l’anathème. Les tendances politiques des uns ou des autres, se sont manifestées clairement au cours de cette campagne, allant souvent jusqu’à l’invective. Les catholiques pratiquants, comme les autres, doivent faire des choix, pourquoi avons-nous si peur d’en discuter entre nous ouvertement ? Peut-être parce que cette fracture politique recoupe des fractures actuelles de notre monde catholique… que nous ne voulons pas voir en face. Le clivage est réel entre des catholiques qui incitent l’Église à l’ouverture au monde et d’autres qui pensent la protéger en se coupant du monde. Ici même à Saint-Eustache avons été agressés plusieurs fois cette année par des chrétiens refusant notre ouverture et notre accueil de la diversité. Pourtant, nous sommes de la même Église et nous devons admettre que, si nous avons tous des conversions à vivre, il y a chez chacun une authentique recherche spirituelle qui l’appelle à servir le monde par les repères stables que nous inspire l’Evangile.

Comment réagir ? Comment refuser le « eux contre nous » et choisir le « nous tous ensemble » ;  comment faire signe et faire sens dans un monde qui ne nous attend pas forcément, comment aller vers des chrétiens qui vivent différemment leur foi avec qui le dialogue parait difficile, voire impossible ? Comment accepter que l’Évangile n’ait pas qu’une seule interprétation qui serait la seule « juste » ? Il n’y a pas qu’un seul modèle de vie en Église. Certains groupes de préparation du synode ont rappelé qu’il n’y a pas non plus qu’une seule tradition spirituelle, ils ont appelé de leurs vœux une Église humble en soulignant combien il était vital de discerner ensemble ce qui la rassemble.

L’état d’esprit synodal est d’abord celui de l’accueil inconditionnel et de l’hospitalité. Cela va avec l’importance du compagnonnage avec d’autres, l’importance de l’agir ensemble en solidarité et de la présence aux autres différents de nous. Cela vaut pour toute l’Église, à commencer par notre communauté. Beaucoup y a été fait ici : l’accueil nécessaire et ouvert aux nombreux visiteurs — dont la porte en verre du transept sud restant ouverte pendant les messes est le signe que nous célébrons autant « pour ceux qui passent » que pour nous-mêmes — la place donnée à l’art contemporain, la présence sur les réseaux sociaux, les divers groupes de solidarité si dynamiques et efficaces… Tout cela n’est pas une option mais une exigence évangélique. Comment la communauté vit-elle par des choix concrets son fil directeur : accueil-hospitalité-solidarité ? Miser sur la musique et l’art contemporain pour entrer en dialogue ? Organiser des événements comme les 36 heures pour toucher les jeunes générations ? Accueillir dans « La Pointe » ceux qui se sentent isolés ? etc.… ?

Mais n’est-ce pas l’idée même d’une mission qu’il faut travailler et interpréter ? Nous n’adhérons pas à la mission consistant à convaincre autrui de se convertir pour nous ressembler et nous rejoindre, et nous ressentons même une certaine pudeur face à la mission de témoignage explicite. Notre vocation communautaire serait plutôt de partager la parole au-delà de nous-mêmes, de coproduire du sens avec nos compagnons de route proches ou occasionnels, de faire avancer le Royaume en nous et d’habiter autrement le monde.

Jésus ne donne pas à ses disciples un schéma d’organisation, il leur donne un mode de recherche et de conversion.

 

Père Jacques Mérienne.



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