Homélie du Père Yves Trocheris, Messe pour la Paix en l’église Saint-Eustache

Homélie du Père Yves Trocheris, Messe pour la Paix en l’église Saint-Eustache

Saint-Eu stache – 11.11.2018

Psaume 145
Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés.

D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Da pacem Domine
Donne la paix, Seigneur,
à nos jours,
car il n’y a personne d’autre que Toi,
qui combatte pour nous, notre Dieu.

Verleih uns Frieden gnädiglich,
Herr Gott, zu unsern Zeiten.
Es ist doch ja kein andrer nicht,
der für uns könnte streiten,
denn du, unser Gott, alleine.

Romains 12, 18
Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif donne-lui à boire… Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien

Que célébrons-nous aujourd’hui ? Il y a tout juste 100 ans, ce même jour, à cette même heure, toutes les cloches de la ville de Paris sonnaient pour annoncer que la guerre était terminée, pour annoncer l’armistice. Le peuple français était alors en liesse. Il fêtait avec ses alliés une victoire armée.

40 nations furent engagées dans cette guerre, 70 millions de soldats furent mobilisés. 10 millions sont morts et le nombre des victimes civiles est estimé à 7 millions de personnes. La France a perdu 1,3 millions d’hommes, l’Allemagne, 2 millions. Les conséquences de cette guerre sur les générations suivantes, comme celles du deuxième conflit mondial, sont encore aujourd’hui mal perçues. Il y a bien cette peur, la peur de la guerre que des générations d’Européens ont vécu. Il y a encore ce sentiment d’une faillite culturelle et intellectuelle de l’Europe. L’Europe avec tout ce que sa tradition judéo-chrétienne contient comme attention à la personne humaine en tant que telle, l’Europe héritière de l’esprit des Lumières et donc promotrice de droits universels pour l’homme, l’Europe avec toute sa créativité artistique, intellectuelle et scientifique, cette Europe-là a voulu et a engagé en 1914 une guerre de nature fratricide. Les hommes partaient avec l’idée d’accomplir des actes de bravoure, de devenir des combattants héroïques. Ils se sont retrouvés plongés dans des bains de boue et de sang, totalement soumis à une guerre dont la composante de plus en plus technique détruisait et tuait avec toujours plus de performance.

Que célébrons aujourd’hui ? Le 11 novembre 1918 fut une victoire armée, mais ce jour fut-il une victoire pour la paix ? À peine 20 ans plus tard, le 1er septembre 1939, la guerre a repris ses droits. Elle a de nouveau plongé l’Europe dans un vaste processus de destruction. Cette nouvelle guerre prolongera et même amplifiera les horreurs de la Première Guerre mondiale. Elle ne s’achèvera véritablement qu’avec la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. Nous pourrions même penser qu’elle s’est définitivement achevée en l’année 2000, là précisément où la Première guerre mondiale avait commencé, dans les Balkans.

Que célébrons-nous aujourd’hui ? Oui, il est essentiel de faire mémoire de tous ces hommes morts au combat, de toutes les victimes civiles de la Première Guerre mondiale. Leur mort a-t-elle un sens ? Si nous affirmons que seule la victoire des forces de la Triple Entente est ce que nous devons célébrer aujourd’hui, que seuls les soldats de ces forces sont finalement du fait de cette victoire à être les héros qu’ils voulaient effectivement devenir en partant au combat, alors la mort de tous les hommes tombés au titre des pays défaits est appelée à tomber dans l’oubli. Mais cet oubli ne peut pas et ne doit pas être. Et ce n’est effectivement pas le cas, si de fait nous envisageons pout l’histoire humaine l’idéal à réaliser d’une communauté de paix.

Les morts de tous les soldats tombés par la Première Guerre mondiale, quelle que soit leur nationalité et leur origine, la mort de toutes les victimes civiles de cette guerre, les morts encore des guerres d’aujourd’hui, nous rappellent que l’état de paix tels que nous pourrions l’imaginer pour l’humanité à son origine (le paradis) ou pour une humanité que nous rêverions sortie de l’histoire ne fait hélas pas partie de notre condition humaine. Aujourd’hui encore, l’établissement d’une véritable paix suppose que nous dépassions tout autant la culture guerrière que l’illusion d’une société totalement irénique. Précisément, le désir de paix que tous nos morts ont certainement ressenti alors qu’il luttait pour leur vie et pour celle de leurs camarades de combat ne pouvait s’affranchir de la situation qu’il leur était donné de vivre. Oui, c’est au milieu du combat que certainement beaucoup beaucoup d’entre eux, ce sont mis à désirer et à espérer le projet d’une paix perpétuelle, selon les mots même d’Emmanuel Kant (Zum ewigen Frieden), pour leur pays, pour l’Europe, pour le monde. De ce désir, de cette espérance, nous sommes aujourd’hui les héritiers et les bénéficiaires – 73 de paix ininterrompue entre la France et l’Allemagne.

Le discours que je viens de tenir a bien une consistance politique et l’on peut se demander en quoi précisément il concerne l’homme de foi. Une première réponse à cette question se trouve dans l’épître aux Romains de saint Paul : « si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif donne-lui à boire… Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 20). Le message est clair : le chrétien est bien cette personne qui doit surmonter toute forme de haine à l’encontre de qui il identifierait à un ennemi.

Plus profondément, dans le psaume de ce jour, il est écrit :

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés.

D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité … ô Sion pour toujours. Dieu a donné à l’homme le salut ; Dieu nous a donné sa paix, et il l’a donnée de manière irrévocable. Et c’est précisément en raison de la fidélité de Dieu au salut qu’il nous offre, que nous pouvons dire : «oui Seigneur, de toi vient le salut, de toi seul, ta fidélité est unique, car perpétuelle. Donne-nous, donne-nous d’entrer dans ta fidélité, apporte-nous la paix -Da pacem Domine- Verleih uns Frieden».

Face au caractère absolu de la fidélité de Dieu, l’homme ne doit cependant pas demeurer passif. Tout au contraire, Il a à l’égard de cette fidélité une responsabilité à exercer. Tout ce qui dans le monde et dans l’histoire peut contrevenir à l’expression, à la lisibilité de la fidélité de Dieu à son Alliance doit être considéré comme contraire à l’esprit et à la volonté de Dieu. C’est je crois ce qui s’est passé à partir de la Première Guerre mondiale, un effacement dans la conscience humaine de l’action de Dieu dans notre histoire : « où est Dieu ? Que fait-il pour nous ? Que pouvons-nous espérer de lui ? ».

Frères et sœurs, c’est contre cela, je crois, que nous sommes tous aujourd’hui ici réunis. Pour manifester que l’Esprit de l’Alliance telle que Dieu l’a manifesté en Jésus Christ, le prince de la paix, est un esprit vivant. Commémorer toutes les victimes de la Première Guerre mondiale, remercier Dieu pour la paix ininterrompue que la France et l’Allemagne et un grand nombre de pays européens vivent depuis plus de 73 années, raviver pour aujourd’hui notre désir de paix, cela le vivons maintenant en ce dimanche du 11 novembre 2018. Peut-être ainsi, et avec le secours de la grâce, entrons-nous dans la fidélité de Dieu, et devenons-nous de réels fils de Dieu : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu » (Mt 5).

Yves Trocheris, prêtre de l’Oratoire, curé de Saint-Eustache.



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