Crèche 2018 à Saint-Eustache

Crèche 2018 à Saint-Eustache

© Théophile Stern & Max Coulon, courtesy Rubis Mécénat cultural fund, église Saint-Eustache, 2018. Photo : Julien Goldstein

Au cœur de la crèche il y a le regard de l’enfant nouveau-né découvrant le monde les yeux encore embués. Au 13ème siècle dans la crèche inventée par François d’Assise à Greccio le nouveau-né découvrait les pauvres qui l’accueillaient ravis et la nature riche et rude au milieu de laquelle ils vivaient, et le ciel étoilé… Nos crèches tentent souvent de retrouver cette émotion première. Paradoxalement dans celle qu’ont crée dans notre église Max Coulon et Théophile Stern il semble ne pas y avoir d’enfant ! Au contraire il y en a beaucoup puisqu’ils nous attribuent à nous spectateurs le point de vue du nouveau-né qui cette fois découvre notre monde actuel. Mon regard d’enfant, non pas embué mais surpris, distingue au loin une humanité bigarrée perdue sur un radeau, ce ne sont plus les animaux qui sont dans l’arche mais les humains divers et drôles qui survivent. La mer à forte houle qui les emporte est minérale, la nature a perdu toutes ses parures végétales et animales comme la nôtre est en train de le faire. Y aura-t-il encore des oiseaux dans trente ans ? Cette mer elle-même est en train de se casser dévoilant ses structures métalliques. Si vous habitez dans un immeuble moderne et qu’un beau matin vous voyez apparaître les fers à béton qui le maintiennent, admirez leur finesse et pensez à déménager. Mais nous, nous ne pouvons pas déménager de notre terre. Alors il va falloir réagir, c’est sans doute ce qu’est en train de se dire celui qui vient de naître dans cette crèche, qui va devoir sauver ces habitants de la Terre et leur prêter main forte pour revivifier leur monde qui est désormais le sien. Et déjà dans sa tête et dans son cœur il envisage les gestes à accomplir et les mots à prononcer pour stimuler et féconder ce petit reste d’humains. À chacun de s’y mettre.

Dans tous les domaines, les artistes contemporains sont très directs, les plasticiens notamment utilisent toutes sortes de matériaux à leur disposition, les plus pauvres comme les plus riches, avec une préférence pour les premiers, et un effet d’amoncellement biscornu. L’esthétique et l’iconographie traditionnelles semblent oubliées alors qu’au contraire elles sont approfondies et mises à jour, toutefois soumises à une énergie vitale qui ne se cache pas, voire s’impose, le geste de l’artisan qu’est d’abord l’artiste n’étant plus masqué par la finition et le polissage classiques des périodes antérieures. Le sens de l’œuvre en est plus brutal, mais aussi plus immédiat et percutant. Si elles nous semblent inintelligibles ce n’est pas que ces œuvres soient éloignées de nous mais qu’au contraire elles sont très proches, on se dit j’aurais pu le faire moi-même… mais voilà, je ne l’ai pas fait. Il y a dans les personnages de cette crèche une belle familiarité qui donne au regard enfantin que les artistes nous font assumer une vraie tendresse.

Une dernière image à associer à notre crèche, celle du cœur de Pascal Haudressy qui se trouve à proximité et qui bat, qui bat, qui bat, qui bat… dans son écran. J’évoque le dernier plan d’un film de Marcel Carné (Les visiteurs du soir) dans lequel le diable entend dans la statue des deux amants Anne et Gilles qu’il vient de changer en pierre un cœur qui bat encore obstinément, ni la vie ni l’amour n’ont cessé, ils ont gagné. Dans le monde numérisé et minéralisé qui nous grignote soyons attentifs à tous les cœurs battant le rythme de la vie et de l’amour.

Jacques Mérienne, prêtre du diocèse de Paris.



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